[Groupe 8] Billet collectif – Le rôle de l’aide humanitaire internationale dans la lutte contre les violences sexuelles au sein des camps de réfugiés syriens en Jordanie
Le conflit syrien qui dure depuis 2011 a contraint 5,6 millions de personnes à fuir la Syrie (UNHCR, 2018). La Jordanie, pays voisin, fait partie des principaux pays accueillant les réfugiés syriens mais les conditions de vie y sont très difficiles. En effet, selon l’UNHCR, « 93% des réfugiés en Jordanie vivent en dessous du seuil de pauvreté.» Le flux de réfugiés syriens vers la Jordanie est tel, qu’en 2012, les autorités jordaniennes décident d’installer le camp de réfugiés Zaatari en plein désert ainsi que de faire appel à l’aide internationale (Gartoum, 2018). Deux ans plus tard, c’est le Jordan East Camp à Azraq qui voit le jour. En 2013, le camp de Zaatari ayant une capacité de 120,000 se voit accueillir 140,000 réfugiés, le faisant devenir la quatrième ville du pays en termes de population (Ababsa, 2015). La surpopulation et la pauvreté omniprésente alimentent la violence dont les victimes directes sont les femmes et les enfants qui représentent 80 % des déplacés (Gartoum, 2018). Il en ressort alors que l’aide humanitaire internationale censée protéger les personnes vulnérables n’est pas si accessible qu’elle devrait l’être car celles-ci sont toujours très fortement victimes de violence domestique, de mariage précoce forcé ainsi que de violences sexuelles liées à leur inégalité de genre.
L’intérêt de notre recherche peut être identifié principalement sous deux aspects : une dimension sociale dans un premier temps et une dimension scientifique dans un second. Tout d’abord, la dimension sociale de notre recherche est de faire la lumière sur ces inégalités, notamment de genre, et sur les violences sexuelles, peu évoquées dans les sociétés occidentales car elles semblent assez éloignées. L’intérêt étant de comprendre dans quelle mesure l’aide humanitaire découle sur des résultats concrets et quel en est, dans ce cadre là, le degré d’abstraction. Dans cette optique, la recherche présente aussi un intérêt scientifique, car elle vise à réaliser une étude de cas au niveau des principaux camps réfugiés syriens en Jordanie : les camps de Zaatari et d’Azraq. En effet, ils font partie de ceux étant les plus représentatifs et densément peuplés et il existe déjà une importante documentation disponible. Cependant, leurs données fournissent seulement une vue d’ensemble de la situation dans les camps et non celle que nous souhaitons montrer : les inégalités de genre et la violence qui en découle ainsi que l’action réelle/concrète de l’aide humanitaire internationale.
Face à la vulnérabilité que connaissent ces femmes, la communauté internationale s’est mobilisée pour tenter de mieux aider les personnes qui subissent ces violences en mettant également en place des moyens pour prévenir ces abus. Malgré cela, la violence fondée sur les inégalités de genre est en augmentation. Notre objectif est donc de problématiser les méthodes utilisées par la communauté internationale pour faire face à ces violences et de comprendre si les mesures mises en place sont réellement suffisantes ou peuvent être améliorées pour lutter contre ce phénomène. Ainsi, le but de cette enquête sera alors de répondre à la question de recherche suivante : Les moyens employés par l’aide humanitaire internationale en vue de lutter contre les violences sexuelles dans les camps de réfugiés répondent-ils aux besoins des réfugiées syriennes en Jordanie ?
Au regard de la question posée, nous en avons déduit l’hypothèse selon laquelle l’aide humanitaire apportée par la communauté internationale n’est en réalité pas aussi accessible qu’elle pourrait l’être. En effet, les moyens mis en place par celle-ci pour prévenir les violences sexuelles ne sont pas suffisants car ces dernières restent omniprésentes. Le fil de cette hypothèse s’en tient à deux points : le facteur culturel et communicationnel. Culturellement, la plupart des femmes victimes de SGBV (Sexual and Gender Based Violence) sont plus susceptibles de témoigner de leurs expériences à des figures religieuses, autorités gouvernementales ou membres de la famille plutôt qu’à une aide étrangère. Et cela, à supposer qu’elles le peuvent puisque celles-ci ne peuvent quitter leur lieu de vie sans être accompagnées d’un proche. En termes de communication, il semblerait que l’aide humanitaire connaît encore trop peu d’outils permettant de sensibiliser les femmes aux structures auxquelles elles ont accès et cela, particulièrement dans les camps situés au Sud de la Jordanie. Enfin, le manque concret de moyens mis en place par l’aide humanitaire internationale, en coordination avec les cliniques et gouvernements nationaux, entraîne une stagnation du phénomène dont le degré de prévention se mesure difficilement.
Ainsi, plusieurs approches théoriques ont été envisagées, mais la principale difficulté est l’articulation de celles-ci avec les méthodes de collecte de données retenues. La plus pertinente nous semble être le néo-institutionnalisme sociologique (Lartigot-Hervier, 2019) qui permettrait d’étudier les organismes proposant de l’aide humanitaire internationale en tant qu’institution qui influe sur les choix des acteur·rice·s et les processus politiques. L’angle sociologique de cette approche a l’avantage d’inclure les différents enjeux culturels et de genre sous-jacents à l’intervention institutionnelle et d’analyser la manière dont elles sont prises en compte ou non.
En ce qui concerne la méthode de collecte de données, nous procéderons dans un premier temps à l’analyse de documents d’institutions offrant de l’aide humanitaire dans les camps de réfugié·e·s en Jordanie. Il peut s’agir de rapports d’institutions tels que les Nations-Unies dont le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) ou des Organisations non gouvernementales (ONG). L’idée étant de récolter des données sur les violences sexuelles au sein de ces camps, et de cerner quelles sont les mesures mises en place (ou non) en vue de lutter contre celles-ci de manière préventive et/ou curative par ces institutions. Dans un second temps, nous tenterons de mener un ou deux entretiens individuels avec du personnel d’ONG traitant de ce sujet, situé à Bruxelles de préférence. Nous envisageons des entretiens semi-structurés qui offriront une liberté modérée à nos interlocuteur·rice·s. Ainsi, dans une logique déductive, nous confronteront les données récoltées (grâce à l’analyse de document) aux témoignages empiriques de nos enquêté·e·s.