{ Groupe 6 } : Billet collectif 2 : Impact de l’internationalisation de la carrière de diplomate sur les conjoint.es et la vie de famille
Ce travail porte sur l’impact de l’internationalisation d’un.e diplomate sur la vie/carrière de son/sa conjoint.e ainsi que leur vie de famille.
Notre enquête
Abordons premièrement le déroulement de l’enquête. Nous nous sommes d’abord attelés à la rédaction d’un état de l’art. Concernant le choix de la méthode, nous avons opté pour l’entretien semi-directif. Cette méthode nous a semblé pertinente puisqu’elle permet de recueillir la plus grande quantité de données possible en peu de temps[1] et de rendre l’implicite explicite. Nous avons ensuite élaboré collectivement le guide d’entretien. Celui-ci est divisé en trois parties : présentation de l’interviewé, la décision de partir et de s’internationaliser et les expériences à l’international (vie professionnelle, vie de famille et vie sociale).
En parallèle, nous avons commencé à prendre contact avec de potentiels interviewés. Ces recherches se sont avérées plus difficiles que nous l’avions imaginé. Dans un premier temps, nous avons multiplié les canaux de communication pour contacter nos interviewés (annonces sur nos Facebook respectifs, e-mails envoyés à plusieurs diplomates et à des cercles diplomatiques). Cependant, après des résultats peu concluants, nous avons donc choisi d’élargir les critères de sélection de notre population (conjoints de diplomates dont l’époux/épouse est en fonction à Bruxelles, déployé.e dans un autre pays ou retraité.e). Ainsi, notre échantillon est composé de cinq personnes d’origine étrangère[2] ayant fait l’expérience de l’internationalisation à Bruxelles et de quatre belges ayant fait l’expérience de l’internationalisation à l’étranger.
Suite à cet élargissement, nous avons débuté nos entretiens. Après la retranscription de ceux-ci, nous nous sommes réunis afin d’en discuter et de mettre en lumière les éléments clefs.
Nos résultats
A la suite de nos entretiens, la première hypothèse : « une famille dont au moins un des parents est diplomate acquiert au fil du temps un fort capital culturel » a été confirmée. Cette hypothèse s’appuie sur les travaux de Bourdieu et sur son concept de capital culturel qui regroupe à la fois le capital incorporé, le capital institutionnalisé et le capital objectivé[3]. Ainsi, les enfants de diplomates maîtrisent souvent plusieurs langues étrangères. Par exemple, Madame D déclare : “ mes aînés parlent en plus du français et du néerlandais, l’anglais et l’espagnol, ils le parlent couramment”[4]. Comme le souligne Madame I, cette maitrise linguistique participe à une ouverture culturelle de manière générale : “Ils ont eu beaucoup d’opportunités, ils ont voyagé beaucoup, (…) ils ont connu d’autres pays, d’autres cultures. Je crois que c’est un bagage vraiment important pour eux dans leur vie”[5]. En outre, les enfants ont la plupart du temps accès à une bonne éducation car ils fréquentent généralement les meilleures écoles du pays “comme les lycées français, comme l’école américaine, comme l’école internationale”[6]. Selon les dires de Madame F, à Bamako, le lycée français représentait la meilleure option pour ses enfants car “en Europe c’est très élitiste, mais là-bas c’est la seule école où tous les enfants européens normaux vont”[7] tandis que les maliens eux, sont scolarisés à l’école publique locale.
Quant à notre deuxième hypothèse « une famille dont au moins un des membres est diplomate accumule un grand capital social international au fil du temps accumule un grand capital social international au fil du temps», elle est également confirmée, mais de manière contrastée. En effet, en ce qui concerne les enfants et le/la diplomate, les lieux de sociabilisation comme l’école ou l’ambassade permettent une sociabilisation plus rapide. Madame F nous apprend que sa fille “est allée au Sénégal à Pâques pour voir un ami, (…), les autres qui sont au Maroc, un autre qui est au Sénégal, au Mali[…]. Alors, ça donne aussi un réseau assez intéressant.”[8] Tandis que certain.e.s conjoint.e.s témoignent d’une difficulté dans la sociabilisation parce qu’elles n’ont pas de lieu de sociabilisation pré-définis. Madame F souligne “ce n’était pas vraiment facile. Et l’autre chose pour la connexion sociale que je vois, c’est que les autres conjoints que j’ai connu, ils ont participé́ surtout à la vie liée au boulot du mari dans les cocktails pour agrandir le réseau social”[9]. La difficulté des conjoint.es réside également dans le fait qu’ils doivent faire face à un “un autre processus d’intégration sociale”[10] dès qu’ils changent de pays. Cela ne veut pas pour autant dire qu’elle n’acquiert pas un capital social fort. En effet, c’est un processus un peu plus long et laborieux mais qui porte ses fruits à terme. La sociabilisation se fait souvent au sein des sphères diplomatiques uniquement.
La troisième hypothèse : « Le/La conjointe du diplomate doit revoir ou mettre de côté son plan de carrière pour favoriser le bon développement de la carrière diplomatique » est validée même si certaines clarifications doivent être apportées du fait de la variété de profils. Sur neuf conjoint.e.s de diplomates, seule Madame H travaillait[11]. Deux interviewés[12] ont quant à eux arrêté leur travail sans pour autant qu’il y ait une corrélation avec la carrière de leur conjoint. En revanche, pour les six autres interviewés, l’internationalisation de la carrière de leurs conjoint.e.s diplomates a eu un impact direct sur la leur. En effet, deux conjointes[13] ont décidé de mettre leur carrière entre parenthèses : “J’ai mis ma carrière en stand-by pour retrouver mon époux.”[14]. Dû à la législation interdisant aux conjoint.e.s de travailler dans le milieu diplomatique, Monsieur B a été contraint de quitter le consulat et s’est réorienté vers le tourisme.[15] Enfin, trois interviewé.e.s ont arrêté de travailler du fait de l’internationalisation de la carrière de leurs conjoints diplomates. Madame D souligne l’importance du facteur générationnel dans notre étude : “A l’époque, la question ne se posait pas vraiment. Voilà, on suivait [son conjoint]. Maintenant c’est différent.”[16]. Madame E explique l’importance de la question de genre et du contexte politique pour comprendre en quoi la carrière de son conjoint a affecté la sienne : “On a d’abord été au Congo Belge […]. Les femmes ne travaillaient pas. Et puis, il y’a eu les rébellions entre Tutsis et Hutus”[17]. Enfin, Madame G a arrêté sa carrière en expliquant comme Monsieur B le problème de la législation et conclut par : “en ce qui concerne ma carrière, je peux dire qu’elle a été sacrifiée”[18].
Pour finir, nos conclusions valident nos hypothèses quant à l’impact de l’internationalisation de la carrière de diplomate sur son/sa conjoint.e et leur vie de famille.
[1] Bardot J. (2012), « Mener un entretien sociologique en face à face, l’enquête sociologique », dans Serge Paugam (éd.), L’enquête sociologique, Paris, Presses Universitaires de France.
[2] Notes : les interviewés d’origine étrangère proviennent du Gabon, du Mexique, des Pays-Bas, d’Espagne et du Cameroun
[3] Draelants, H., Ballatore, M., (2014) « Capital culturel et reproduction scolaire. Un bilan critique », Revue française de pédagogie, 186(1), 117.
[4] Entretien de Madame D, mené par Estelle B et Estelle P, réalisé le 25 avril à 15h au Château Saint-Anne
[5] Entretien avec Madame I, mené par Margaux Requier et Marie Venin, réalisé le 3 mai à 18h via WhatsApp
[6] Entretien avec Monsieur B, mené par Laly Dormont, réalisé le 15/04/22 à 11h30 via Teams
[7] Entretien avec Madame F, mené par Marie Venin et Margaux Requier, réalisé le 27 avril à 10h via Teams
[8] Ibid.
[9] Ibid.
[10] Entretien avec Monsieur A, mené par Stéphane, réalisé le 12 avril à 17h00 à son domicile
[11] Entretien avec Madame H, mené par Estelle Pirotte et Clémentine Méot, réalisé le 27/04/22 à son domicile
[12] Entretien avec Monsieur A, mené par Stéphane Joel, réalisé le 12 avril à 17h00 à son domicile et Entretien avec Madame F, mené par Marie Venin et Margaux Requier, réalisé le 27 avril à 10h via Teams
[13] Entretien avec Madame C, mené par Margaux Requier et Marie venin, réalisé le 21 avril à 12h à son domicile et Entretien avec Madame I, réalisé par Margaux Requier et Marie Venin le 03/05/22 via WhatsApp
[14] Entretien avec Madame C, mené par Margaux Requier et Marie Venin, réalisé le 21 avril à 12h à son domicile
[15] Entretien avec Monsieur B, réalisé par Laly Dormont le 15/04/22 à 11h30 via Teams
[16] Entretien avec Madame D, réalisé par Estelle Blanche et Estelle Pirotte le 25/04/22 à 15h au Château Ste Anne
[17] Entretien avec Madame E, mené par Estelle Pirotte, réalisé le 26 avril à 11h au Château Saint-Anne
[18] Entretien avec Madame G, mené par Stéphane Joel, réalisé le 27 avril à 16h30 via WhatsApp
Bibliographie
Article scientifique :
- Draelants, H., Ballatore, M., (2014) « Capital culturel et reproduction scolaire. Un bilan critique », Revue française de pédagogie, 186(1), 117.
Chapitre d’ouvrage :
- Bardot J. (2012), « Mener un entretien sociologique en face à face, l’enquête sociologique », dans Serge Paugam (éd.), L’enquête sociologique, Paris, Presses Universitaires de France.
Entretiens :
- Entretien avec Monsieur A, mené par Stéphane Joël, réalisé le 12 avril à 17h00 à son domicile
- Entretien avec Monsieur B, mené par Laly Dormont, réalisé le 15 avril à 11h30 via Teams
- Entretien avec Madame C, mené par Margaux Requier et Marie Venin, réalisé le 21 avril à 12h à son domicile
- Entretien de Madame D, mené par Estelle Blanche et Estelle Pirotte, réalisé le 25 avril à 15h au Château Saint-Anne
- Entretien avec Madame E, mené par Estelle Pirotte, réalisé le 26 avril à 11h au Château Saint-Anne
- Entretien avec Madame F, mené par Marie Requier et Margaux Venin, réalisé le 27 avril à 10h via Teams
- Entretien avec Madame G, mené par Stéphane Joël, réalisé le 27 avril à 16h30 via WhatsApp
- Entretien avec Madame H, mené par Estelle Pirotte et Clémentine Méot, réalisé le 27 avril à son domicile
- Entretien avec Madame I, mené par Margaux Requier et Marie Venin, réalisé le 3 mai à 18h via WhatsApp