[Groupe 7] – Billet collectif 2 – La reconversion vers le privé après un passage par les institutions européennes
L’enquête que nous avons menée auprès de personnes s’étant reconverties professionnellement, passant des institutions publiques européennes au secteur privé, nous a permis de voir qu’il semble effectivement que le passage par les institutions de l’Union Européenne ait une influence sur la poursuite de carrière dans le privé à plusieurs égards.
La première hypothèse défend que travailler dans l’Union Européenne offre des perspectives de carrière perçues comme prestigieuses et attractives, ainsi que d’excellentes conditions salariales. Celle-ci semble affirmée au travers de nos entretiens. Tout d’abord, les participants s’accordent sur leur enthousiasme au moment d’entreprendre une expérience professionnelle au sein des institutions européennes, en raison d’intérêts individuelles affinés depuis leurs études universitaires, ainsi que des motivations d’ordre moral ou de curiosité quant au fonctionnement de la bureaucratie européenne. Ensuite, l’avantage d’un confort financier et d’une stabilité a été mentionné à de nombreuses reprises au cours de la majorité des entretiens. Par ailleurs, un autre avantage que nous avions sous-estimé concerne l’importance exprimée par 70% de notre échantillon d’interagir avec un environnement de travail international, perçu unanimement comme enrichissant et stimulant sur le plan intellectuel. On peut dès lors considérer l’expérience au sein des intuitions européennes comme un champ au capital social relativement élevé. Le passage par ce milieu social constitue dès lors un atout en termes de possibilités relationnelles, de réseaux re-mobilisables et toujours remobilisés. Il s’agit-là d’une constante observée, lors de la reconversion vers le secteur privé.
La seconde hypothèse selon laquelle les institutions de l’Union Européenne fonctionnant en vase-clos vis-à-vis du reste de la société, en particulier du secteur privé, et impliquant un grand coût d’entrée pour les agents qui souhaiteraient pénétrer celui-ci semble devoir être nuancée. Pour répondre à cette hypothèse, nous analyserons le contrôle qu’une personne possède sur son parcours (l’agentivité) et le contexte dans lequel ont eu lieu ces reconversions, pour ensuite regarder le sens social et personnel qu’une personne donne à son parcours (la signifiance).
Tout d’abord, nous avons constaté lors de nos entretien qu’en ce qui concerne la reconversion, elle fait l’objet d’une stratégie pour 70% de notre échantillon qui l’a délibérément choisie. Les raisons qui motivent ce choix sont variées : le désir de s’engager dans un parcours entrepreneurial autonome dans un secteur moins hiérarchisé, autant que l’intérêt vers une nouvelle opportunité représentent les motivations les plus courantes. Lorsqu’elle a été subie, les raisons évoquées étaient entre autres de nature politique, comme le Brexit ou individuelle, résultants de burn-out ou d’impératifs familiaux dans son pays d’origine.
D’autre part, quand nous analysons la maîtrise et le caractère plus ou moins prévisible de cette reconversion, nous constatons que bien que les changements soient motivés par des raisons différentes, ces reconversions professionnelles sont qualifiées de « facile » par 60% des participants. De plus, elles sont perçues comme le fruit d’opportunités par 60% de notre échantillon, cette opportunité étant directement liée au capital social des individus. Si seulement quatre individus expliquent cette facilité de reconversion grâce à la contribution apportée par leurs études précédentes, 70% souligne l’importance du rôle joué dans les institutions. L’expérience au sein des institutions EU montre ses avantages et son effet mobilisateur.
Enfin, la compréhension de la reconversion du secteur public européen au secteur privé s’inscrit dans une rupture dans le parcours de vie. Tous les participants expliquent d’ailleurs que le fonctionnement de ces deux secteurs complètement différents. Une explication que par les enjeux identitaires est donné pour développer la reconversion, soit l’impact sur l’image qu’une personne donne à son parcours. Il apparait ici, que même si l’union possède de nombreux avantages, les participants se plaignent d’une lourdeur du travail bureaucratique les poussant à quitter le secteur public. D’ailleurs, quand les interviewés ont été demandés de produire une évaluation des deux expériences, en termes de satisfaction personnelle, la plupart des individus se manifestent contente de leur reconversion, qui leur permet une meilleure identification personnelle. Ce résultat est confirmé par le fait que 60% des interviewés souhaitent maintenir son rôle dans le secteur privé. Cependant, nous nous interrogeons quand a une possible dégradation du capital et de la situation professionnelle. En effet, 60% des interrogés ont une vision du monde de l’entreprise assez négative (70%). De plus, lorsqu’on leur demande s’ils ont le sentiment d’avoir un statut particulier une large majorité (80%) nous répondent par la négative. Par conséquent nous comprenons que la reconversion est généralement réalisée au travers d’un réseau et d’opportunités de vie, qui amène à un sentiment de meilleure identification professionnelle. Mais ne mène pas nécessairement à une augmentation du capital.
Après avoir mis en évidence les tendances générales les plus importantes, il semble demeurer des cas particuliers importants à souligner. Tout d’abord le contexte souvent très personnel de reconversion, jouant sur le parcours professionnel des individus, explique la forte hétérogénéité de notre échantillon. D’autre part on constatera que les acteurs qui ont bénéficié d’une expérience au sein des institutions remobilisent l’expertise gagnée en tant que tremplin lorsque la dimension internationale demeure une composante importante du nouveau métier, sa réciproque est aussi vraie. L’effet mobilisateur s’avère donc utile uniquement lorsque la connaissance bureaucratique européenne est une compétence recherchée à l’embauche. Par ailleurs le sentiment de manque d’ascension hiérarchique est fréquemment exprimé, les plaintes concernant généralement des promotions moins fréquentes ou des rôles moins prestigieux au sein de la nouvelle entreprise.
Concernant le déroulement de l’enquête, il convient de revenir sur quelques détails intéressants de celle-ci. Nous nous concentrerons sur les points ayant le plus évolué ou constitué des difficultés. De ce fait, il est important de mentionner que la recherche de terrain a constitué le point le plus laborieux de ce travail. En effet, trouver des intervenants qui, d’une part correspondent au critère de trajectoire de carrière allant du secteur public au secteur privé, et d’autre part qui répondent à notre sollicitation de façon positive pour finalement les rencontrer et mener effectivement l’entretien, s’est avéré plus complexe qu’escompté. Cela s’explique tout d’abord par le choix d’une population difficile d’accès sans porte d’entrée mais aussi par la configuration des carrières étudiées qui n’ont pas permis l’effet boule de neige espéré et l’accès à d’autres contacts utiles pour nos entretiens.
La grille d’entretien a été formulée de façon claire et compréhensible selon la majorité des interviewés. Seulement une question, consistant à demander si la personne du fait de sa trajectoire spécifique ressentait un sentiment particulier ou pensait être détenteur d’un “statut particulier”, a suscité des réactions auprès de la majorité des interlocuteurs et a nécessité des clarifications. Étudiant tous les Sciences politiques, une carrière dans les institutions européennes est une possibilité que certains d‘entre n’excluent pas. Cette enquête nous a permis d’entrevoir la réalité du travail dans les institutions, et sûrement permis de faire évoluer notre réflexion et nos idées préconçues quant aux carrières.
Nous aurions souhaité pouvoir établir un profil-type, cependant les 10 interlocuteurs intervenus ne nous ont pas permis de le faire, les profils se sont avérés être très différents les uns des autres. Dès lors notre travail ne constitue pas une enquête comparative entre des profils sociaux (genre, trajectoire similaire de carrière). Cependant, nous sommes conscients qu’une étude quantitative ou l’apport d’autres techniques d’enquête qualitatives auraient peut-être permis de compléter cette analyse et de renforcer les résultats obtenus voire d’en amener d’autres, bien que là n’était pas notre objectif principal.
Néanmoins, et malgré ces quelques déconvenues, cette recherche aura permis d’obtenir des résultats prometteurs qui pourront servir de base à d’autres recherches ultérieures avec une approche ou une méthode différente ou similaire permettant de compléter ou réfuter les résultats avancés.