[GROUPE 14] BILLET COLLECTIF N°2 : Genre et Diplomatie – Les dynamiques du genre au SEAE

[GROUPE 14] BILLET COLLECTIF N°2 : Genre et Diplomatie – Les dynamiques du genre au SEAE

Nom des membres: Rossetti Chiara, Erciyas Céline, Chupin Camille, Fichaux Julia, Feringa Ryan

Question de recherche: En quoi les politiques d’égalité de genre adoptées par l’UE ne coïncident-elles pas avec une élimination des inégalités au sein du secteur diplomatique? 

  1. Introduction

En partant de notre question de recherche, il faut avant tout souligner les politiques d’égalité de genre qui jusqu’à présent ont été adoptées par l’Union Européenne, pour ensuite prendre en considération la littérature pertinente et les résultats des nos entretiens pour en tirer des conclusions et une réponse à la question de départ. 

Sans doute, l’égalité entre homme et femme est un des principes fondamentaux au sein de l’Union Européenne: cela est souligné dans la Charte des Droits Fondamentaux de l’UE et dans l’article 8 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne. À partir de la fin des années 70 la discrimination de genre a commencé à être combattue d’un point de vue économique et sociale. La Commission Européenne a commencé à travailler sur des politiques et agences à faveur de l’égalité de genre, étant liée au début au « “women in development » approach », qui s’est développé après en “gender mainstreaming approach” et a été formalisé en 2001 dans le Programme d’action communautaire pour l’égalité des chances. L’article 157 du Traité sur le Fonctionnement de l’UE et différentes directives (75/117, 76/207, 86/613, 92/85, 96/34, 2004/113, 2006/54) ont été adoptés et l’Institut Européen pour l’égalité entre les hommes et les femmes a été créé (2006).

Il y a donc eu un important développement des politiques de l’UE dans l’égalité de genre au travail (S. Burri and S. Prechal), mais cela n’a pas empêché d’avoir différentes critiques dues à l’insatisfaction regardant une complète égalité entre hommes et femmes (A. Peto, I. Manners). Le principe de l’égalité de genre est malheureusement encore un défi, comme on va souligner dans les parties qui vont suivre. 

2. Méthode de collecte et d’analyse des données

Pour répondre à notre question de recherche et pour analyser les dynamiques du genre au sein du SEAE, des entretiens ont été menés aux diplomates de l’institution.

    La méthode d’approche pour obtenir les entretiens pour ce projet a été principalement via LinkedIn, en allant sur la page du “European External Action Service”: entre 150 et 200 requêtes de connexion ont été envoyées de manière individuelle. Dès lors que deux personnes ont accepté la connexion, il y a eu une cascade d’autres acceptions (environ 90). Un message prédéfini a été envoyé à chacun en anglais en expliquant notre projet et en demandant une interview. Quatre personnes ont accepté la requête d’interview et nous ont en suite aidé à trouver d’autres contacts en partageant notre projet sur des groupes WhatsApp regroupant les Jeunes Professionnels en Délégation (JPD). Nous avons ainsi reçu des messages spontanés de personnes intéressées pour réaliser l’interview. Seulement deux diplomates sur cinq contactés directement par mail en tant que contacts d’autres contacts à nous, nous ont donné leur disponibilité à se faire interviewer. Dans notre cas, on peut dire que l’approche avec l’effet de boule de neige a assez fonctionné. Au total les interviews ont été faites à 8 diplomates du SEAE, 3 hommes et 5 femmes, avec âge et nationalité différentes. 

    La méthode de collecte des données utilisée à été celle des entretiens semi-directifs (qualitative): une liste de questions préétablies a été rédigée pour guider l’entretien, en permettant de laisser le participant pouvoir s’exprimer de manière libre et spontanée et de donner des réponses plus détaillées et personnelles. Les questions posées sont ouvertes, mais cette méthode prevoit aussi la possibilité de poser des questions additionnelles pour clarifier certaines réponses des interviewés. Tous les entretiens ont été enregistrés et retranscrits. Après avoir crée une fiche synthèse de chaque répondant avec les information personnelles de chacun – sexe, âge, formation, diplôme(s), université(s), célibataire/marié, enfants, emploi, expérience, langues parlée(s), motivation, – un tableau global de comparaison a été créé pour nous permettre de comparer et analyser toutes les informations de tous les répondants afin d’en tirer des conclusions et identifier des arguments ou des motifs similaires pour répondre à la problématique du projet.

    En outre, en plus des résultats obtenus par les entretiens, on considère aussi comme essentiel à notre analyse les impressions qu’on a eu de l’observation de l’intérieur de la situation au SEAE, vu que trois d’entre nous sont allés à conduire une interview sur place. À l’intérieur de l’institution, la sécurité était représenté par des hommes, alors que la secrétaire qui nous a accueilli était une femme. L’entretien de ce jours-là a été faite à une femme, qui nous a amené dans la cafeteria pour la conduire. Au début le lieu était assez vide, avec un numéro pas trop différent entre hommes et femmes, mais vers la fin de l’entretien, il y avait un nombre majeur des femmes.

    3. Revue de la littérature

    Depuis plus de trente ans, un nouveau champ de recherche s’est créé au sujet du genre dans les professions et organisations (Marry, 2015) notamment à propos de l’accès inégal entre les hommes et les femmes pour les carrières les plus valorisées. C’est le concept du plafond de verre qui s’est développé et est devenu très populaire: une image qui rend compte de la difficulté pour les femmes d’accéder aux hauts postes dans leur carrière (Morrisson 1987, Laufer 2004).

      La plupart des recherches qu’on a analisé montrent la progressive levée des barrières juridiques qui interdisaient l’accès des femmes à certaines écoles, concours et métiers et montrent l’arrivée progressive des femmes dans certains secteurs professionnels mais aussi les limites à cela. En effet, les femmes restent cantonnées à des secteurs et tâches limitées qui conviendraient à leur sexe comme les fonctions “sociales” de l’État (Schweitzer, 1999). Il y a eu plusieurs interprétations quant à l’inégalité d’accès à la haute fonction publique: soit pour le moins d’ambition des femmes, soit pour le plus d’avantages que les hommes ont. Il est alors difficile pour les femmes de briser le plafond de verre à cause de nombreux facteurs tels que susmentionnés. 

      Il existent des stratégies identitaires et de carrières des femmes cadres en fonction du contexte organisationnel plus ou moins marqué par la culture masculine et technique: certaines vont essayer de s’aligner et ressembler à leurs collègues masculins tandis que d’autres vont revendiquer leur différence comme une ressource (Laufer).

      On parle de biais de genre lorsque certaines procédures paraissent neutres alors qu’elles sont en fait créées selon un référent masculin (concernent par exemple les critères de mobilité géographique, la flexibilité horaire, etc.) La fonction publique tend à être perçue comme plus égalitaire grâce aux règles de recrutement, de rémunération et de promotion. Cependant, dans la pratique la fonction publique n’offre pas les mêmes opportunités aux hommes et aux femmes. À caractérisitique égales, une femme a deux fois moins de chance qu’un homme d’être cadre dans la fonction publique, tout comme dans le secteur privé (Alber, 2013).

      4. Le SEAE

      En ce qui concerne spécifiquement le SEAE en tant qu’institution, tout en prétendant être un acteur normatif inclusif en matière de genre, « coopte stratégiquement les récits de genre pour promouvoir les intérêts de l’organisation. Cela reflète donc le régime de genre que l’on trouve dans d’autres domaines de l’UE » (Chappell et Guerrina, 2020). En analysant le SEAE d’un point de vue féministe, et dans la mesure où l’UE se présente comme un véhicule de promotion de l’égalité dans toutes ses institutions, la pratique au sein des cercles décisionnels du SEAE démontre une approche « add women and stir » pour montrer son équilibre loué de près de 50 % d’hommes et de femmes sur le papier, démontrant une déconnexion significative entre les pratiques d’égalité déclarées de l’UE et la formulation d’un régime de genre fonctionnant comme un porteur de disparités traditionnelles entre les hommes et les femmes.

      En outre, en ce qui concerne les diplomates individuels travaillant au sein du SEAE, il subsiste des défis liés au genre dans la vie quotidienne des diplomates, provoqués par les implications des attentes de la société à l’égard de ceux-ci. Le spectre du genre, et plus particulièrement de la féminité, plane sur les conceptions idéalisées de ce qu’est et est censé être un diplomate, permettant une image de la diplomatie comme étant à la fois émasculée et un domaine réservé aux hommes (Towns 2020). Les femmes, restent donc historiquement perçues comme incapables de contrôler leurs émotions, tout en étant censées être subtiles et patientes dans leurs actions en tant que diplomates (Towns 2020).

      5. Arguments/observations

      Axe I: Lors des entretiens qui ont été menés, on a pu relever une différence dans les réponses et les attitudes des hommes et des femmes. Les hommes parlaient d’une manière neutre et “corporate” du SEAE. En revanche, les femmes exprimaient leur ressenti en partageant des anecdotes et expériences personnelles. 

      En outre, on note que les femmes sont plus hésitantes à parler de discrimination positive dans leur travail. Selon elles, elles sont au SEAE parce qu’elles ont les compétences requises et non parce qu’il y a un quota de femmes à remplir. Elles ne veulent pas être associées à ce concept, comme si cela voulait dire qu’elles avaient été aidées à rentrer au SEAE et qu’elles ne le méritaient pas pleinement. Quant aux hommes, ils sont plus enclins à dire qu’il existe de la discrimination positive au sein du SEAE. 

      Finalement, bien que les femmes et les hommes aient une perception différente, ils s’accordent à dire que, dans les postes supérieurs, le nombre de femmes, comparé à celui des hommes, reste moindre. L’approche “add women and stir” du SEAE (Chappell et al 2020), qui consiste à assurer un nombre égal d’hommes et de femmes à chaque niveau de la structure institutionnelle, n’est pas encore une réalité. On retrouve majoritairement les femmes dans des rôles administratifs et beaucoup moins dans des postes de direction. Cet engorgement masculin des sommets indique que les concepts de “plafond de verre” (Mary et al 2015) et de “plancher collant” , bien que considérés comme dépassés, restent de rigueur.

      Axe II: La question de la vie de famille est un sujet de préoccupation personnel qui revient régulièrement dans les entretiens. Le corps diplomatique du SEAE (les jeunes surtout) sont globalement inquiets de pouvoir mener à bien une formation et vie familiale car il faut trouver un partenaire qui accepte de voyager régulièrement et parfois dans des pays dits “dangereux”. La vie en couple et familiale peut être un frein dans une carrière diplomatique notamment chez les femmes dû aux inégalités entre les genres où la femme est encore perçue comme celle qui s’adapte en fonction de la carrière de son conjoint. Ce sentiment général a aussi été perçu lors de la conduite des entretiens au sein des employées du SEAE où d’après une des personnes interviewées. De plus, les femmes sont aussi conscientes du fait qu’il est commun qu’une femme suive son mari diplomate et qu’il est plus rare de trouver un mari qui accepte d’abandonner sa propre carrière pour suivre elle. Cependant il y a tout de même eu des évolutions.

      Il existe donc une euphémisation, voire un déni, des inégalités de genre, de la part des hommes comme des femmes; le système de la fonction publique est vu comme un bouclier aux inégalités malgré le fait qu’elles persistent. Il y aurait alors donc une “conscience de genre” (Klein, 1984; Rinehart, 1992) et de l’environnement comme étant structuré par les genres, qui permet parfois des dénonciation des inégalités dans le milieu professionnel, possibles grâce aux politiques mises en place dans les administrations – mais elles ne font cependant pas consensus et proviennent plus souvent des femmes que des hommes. Enfin, cette euphémisation des inégalités contribue à consolider le “plafond de verre”. 

      6. Conclusion

      Pour conclure ce projet, le but principal est donc d’observer les raisons pour lesquelles il existe encore des inégalités dans les agences européennes malgré les procédures institutionnelles mises en place pour lutter contre. Grâce à des interviews menés avec les employés du Service Européen pour l’Action Extérieure (SEAE), on a pu constater les différentes perspectives et les différents ressentis entre les hommes et les femmes face à ces inégalités et ainsi formuler deux axes principaux d’analyse.

      En effet, il y a donc une perception différente en ce qui concerne l’efficacité des procédures institutionnelles pour une plus grande égalité de genre. Malgré les profils variés entre les employés interviewés du SEAE, il y a un ressenti général notamment chez les femmes que les procédures restent insuffisantes à ce jour. Ainsi les critères personnels tels que la vie en couple ou en famille reste un frein dans la carrière diplomatique chez les femmes. Enfin, il existe aussi un déni général des inégalités malgré la prise de conscience et la mise en place de procédures institutionnelles.

      Nous pouvons aussi questionner en ouverture les inégalités de genre et sa relation avec la nationalité et comment elles sont perçues dans les pays différents.

      7. Bibliographie

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