(Groupe 8) : Billet collectif – Internationaliser sa trajectoire sur le tard et sur le tas : tactiques et stratégies des étudiant.e.s peu doté.e.s en capital international.

(Groupe 8) : Billet collectif – Internationaliser sa trajectoire sur le tard et sur le tas : tactiques et stratégies des étudiant.e.s peu doté.e.s en capital international.

Dans le cadre du cours de Méthodes d’enquête de terrain en relations internationales, nous sommes amenés à étudier l’internationalisation des carrières. En tant qu’étudiants vivant dans la capitale européenne, l’internationalisation est un aspect prégnant de nos vies, nous avons donc choisi ce sujet : l’internationalisation, ou son absence, de la carrière estudiantine. De prime abord, des questions classiques de freins économiques ou de genre, mais aussi de facteurs rendant l’internationalisation attrayante comme les programmes Erasmus par exemple, nous sont venus à l’esprit car représentant souvent un lieu commun.

            Or, si le but de notre enquête est de montrer que bien qu’on vienne d’une ville internationalisée comme Bruxelles, où les opportunités de mobilités internationales sont plutôt importantes, la question de légitimité et de représentation sociale est sous-jacente. Cela met alors au cœur de notre étude l’intersectionnalité, concept et approche des sciences sociales multiformes qui mettent en avant l’étude des minorités. Une telle approche nous permet alors de traiter d’une question hybride soit l’internationalisation des carrières estudiantines à la lumière de la question raciale, et des enjeux qu’elle comporte.

            D’un point de vue scientifique, nous avons constaté que de nombreuses études et travaux ont traité de l’aspect socio-économique de l’internationalisation des étudiants, mais peu apportent une réponse quant à la question raciale. C’est ainsi que notre question de recherche s’est formulée comme étant : dans quelles mesures et de quelles façons l’imbrication de la question raciale et du capital socio-économique influence-t-elle l’internationalisation de la carrière estudiantine des étudiants ulbistes ?

            Une telle approche théorique fondée sur l’intersectionnalité doit être explicitée. L’intersectionalité émerge aux États-Unis dans les années septante et est initialement mu par une volonté militante, ayant pour vocation d’analyser les « régimes d’inégalités » en croisant les facteurs de genre, de race et de classes sociales[1]. Le terme en tant que tel est théorisé à la fin des années 80 par la juriste Kimberley Crenshaw, pour illustrer les intérêts des minorités se trouvant « à l’intersection des grands axes de structuration des inégalités sociales et dont les intérêts ne sont pas représentés par des mouvements sociaux »[2].

            Quand on aborde l’internationalisation dans le cadre spécifique des carrières et trajectoires estudiantines, de ce qui l’empêche ou au contraire la permet, un concept bien spécifique doit être relevé : le capital de mobilité international. Comme théorisé par Jésabel Robin[3], on entend par capital de mobilité international « une ressource personnelle (ré)investie (ou non) par les acteurs en situation de mobilité »[4]. Ici nous nous baserons sur la mobilité exclusivement à l’international donc, les acteurs étant les étudiants racisés de l’ULB et leur projet Erasmus. D’autres auteurs, comme Elisabeth Murphy Lejeune[5], explicitent plus en avant un tel concept, qui comporte en effet plusieurs éléments : le capital familial socio-éco hérité et le capital personnel, des expériences (ou non) antérieures de mobilité, des compétences linguistiques, des expériences d’adaptation et certains traits de personnalité. C’est ici que le concept de race s’imbrique avec celui de mobilité internationale, les « traits de personnalité » étant un élément remplacé dans notre étude par une focale sur les étudiants racisés, et de quelle façon leur identité sociale et raciale structure leur mobilité internationale.

            En effet, le concept de race est un facteur qui semble influencer les carrières estudiantines. Celui-ci revêt une dimension sociologique (et non biologique). Il s’agit d’appréhender la race comme un régime de pouvoir produisant des hiérarchies dans la société. Celui-ci a d’abord été théorisé par Gérard Noiriel[6] pour retracer l’évolution de la question raciale dans l’histoire mais n’était pas appréhendé comme une variable réellement structurante dans la société. Ensuite repris par de nombreux sociologues, dont Sarah Mazouz[7], le concept de race verbalise, explique et définit les logiques de racialisation qui structurent les sociétés post-coloniales avec la marginalisation et la discrimination des individus racisé.es. (terme utilisé pour désigner les personnes racialisées par la société). Cette marginalisation accentue le sentiment d’illégitimité des individus – ici les étudiants racisés – et influence ainsi les carrières internationales des étudiants.

            Nous étudierons dans quelle mesure l’imbrication de nos deux variables, la race et la classe sociale, influence l’internationalisation des étudiants bruxellois inscrits en faculté de sciences sociales. S’appuyer sur deux variables plutôt qu’une seule nous permettra d’obtenir une analyse plus pointue vis-à-vis d’une population pouvant endurer plusieurs formes d’oppression sociales[8]. Ces variables ne seront pas analysées comme étant une simple « addition » d’inégalités, constituant une « double oppression », mais le seront plutôt en termes d’articulation et d’interaction dans les processus de (re)production des inégalités sociales[9].

            Nous avons fait le choix d’une méthode de collecte de données fondée sur des questionnaires en ligne afin d’avoir un échantillon large. Nous utiliserons également des entretiens semi-directifs, via une série de questions sur le parcours migratoire, scolaire mais aussi familial des personnes que nous interrogerons. Ici, nous cherchons à souligner est le rôle conjoint de la race et du capital socio-économique dans la décision de partir. Ces méthodes nous ont semblé être les plus adaptées pour répondre à notre question de recherche.

            Notre public cible se compose d’étudiants bruxellois inscrits en faculté de sciences sociales, et plus spécifiquement ceux en deuxième et troisième années de bachelier, souhaitant partir en Erasmus. Nous nous focaliserons d’une part sur les étudiants en deuxième année car c’est durant cette année que les étudiants prennent la décision de partir étudier à l’étranger et constituent leur dossier. Et d’autre part sur les étudiants en troisième année qui ne sont pas partis étudier à l’étranger pour cerner ce qui a empêché leur départ. Une focale sera faite sur les étudiants en Sciences Sociales car, via une approche déductive, nous sommes partis du postulat que les étudiants suivants les formations dispensées dans ce champ disciplinaire sont plus poussés vers l’international et enclins à partir étudier à l’étranger de par le cadre de leur formation académique.

Bibliographie

Articles

  • Ballatore, M. (2017). La mobilité étudiante en Europe. Une lente institutionnalisation sans réelle démocratisation. Hommes & migrations. Revue française de référence sur les dynamiques migratoires, (1317-1318), 79-86.
  • Beine, M. (2017). La mobilité internationale des étudiants: causes et déterminants. Université catholique de Louvain, Institut de Recherches Economiques et Sociales (IRES).
  • Blum. (2018). Transfers of knowledge, multiple identities. The example of students from the FEANF (Fédération des étudiants d’Afrique Noire en France). African Identities, 16(2), 130–145
  • Buscatto, M. (2016). La forge conceptuelle.“Intersectionnalité”: À propos des usages épistémologiques d’un concept (très) à la mode. Recherches sociologiques et anthropologiques47(47-2), 101-115.
  • Brinbaum, Y., & Guégnard, C. (2012). Parcours de formation et d’insertion des jeunes issus de l’immigration au prisme de l’orientation. Formation emploi. Revue française de sciences sociales, (118), 61-82.
  • Brirnbaum, Y., & Kieffer, A. (2004). D’une génération à l’autre, les aspirations éducatives des familles immigrées: ambition et persévérance. Éducation et formations72, 53.
  • Collet, T. (2021). Stéphane Beaud et Gérard Noiriel, Race et sciences sociales, Essai sur les usages sociaux d’une catégorie. Humanisme331(2), 124-125
  • Crenshaw, K. (1990). Mapping the margins: Intersectionality, identity politics, and violence against women of color. Stan. L. Rev.43, 1241.
  • Dokou, G. A. K., Vernier, É., Dang, R., & Houanti, L. H. (2020). Capital de mobilité internationale et développement des compétences transversales: cas des étudiant (e) s de la région des Hauts-de-France (Nord de Paris). Management Avenir, (7), 171-191.
  • Duru-Bellat, M., & Kieffer, A. (2008). Du baccalauréat à l’enseignement supérieur en France: déplacement et recomposition des inégalités. Population63(1), 123-157.
  • Druez, E. (2016). Réussite, racisme et discrimination scolaires. Terrains travaux, (2), 21-41.
  • Faggian, A., & Franklin, R. S. (2014). Human capital redistribution in the USA: the migration of the college-bound. Spatial Economic Analysis9(4), 376-395.
  • Guichon, N. (2020). L’étudiant international: figure de l’individu mobile et connecté. Le Français dans le monde. Recherches et applications, (68), 158-169.
  • Jamid, H., Kabbanji, L., Levatino, A. & Mary, K. (2020). Les migrations pour études au prisme des mobilités sociales. Migrations Société, 180, 19-35.
  • Jaunait, A. & Chauvin, S. (2012). Représenter l’intersection: Les théories de l’intersectionnalité à l’épreuve des sciences sociales. Revue française de science politique, 62, 5-20.
  • Jaunait, A. & Chauvin, S. (2013). Intersectionnalité. Dans : Catherine Achin éd., Dictionnaire. Genre et science politique: Concepts, objets, problèmes (pp. 286-297). Paris: Presses de Sciences Po.
  • King, R., Findlay, A., Ruiz-Gelices, E. and Stam, A. (2004) ‘International Student Mobility’. HEFCE Issues Paper 2004/30. Bristol: Higher Education Funding Council for England.
  • King, R., Findlay, A., & Ahrens, J. (2010). International student mobility literature review.
  • Mazouz, S. (2020). Race. Editions Anamosa. Collection “Le mot est faible”.
  • Murphy-Lejeune, E. (2001). Le capital de mobilité: genèse d’un étudiant voyageur. Mélanges-Centre de recherches et d’applications pédagogiques en langues, (26), 137-165
  • Nogueira, M. A., & Aguiar, A. (2008). La formation des élites et l’internationalisation des études: peut-on parler d’une “bonne volonté internationale”?. Education et sociétés, (1), 105-119.
  • Otero, M. S. (2008). The socio-economic background of Erasmus students: A trend towards wider inclusion?. International review of education54(2), 135-154.
  • Pinto-Baleisan, C., & Delage, M. (2017). Mobilité internationale étudiante et mobilité sociale: ressources et liens sociaux. EchoGéo, (40).
  • Robin, J. (2018). D’étudiante Erasmus professionnelle à professionnelle de la mobilité étudiante: la construction d’un habitus mobilitaire?. Journal of international Mobility, (1), 211-227
  • Terrier, E. (2009). Les migrations internationales pour études: facteurs de mobilité et inégalités Nord-Sud. L’information géographique73(4), 69-75.
  • Vultur,  & Germain, A. (2018). Les carrières migratoires des étudiants internationaux dans une université de recherche au Québec : repenser la mobilité et l’ancrage. Canadian Ethnic Studies, 50(1), 107–127

Mémoires

  • Poupart, Isabelle (2006). « La mobilité internationale des étudiants universitaires : des facteurs d’influence à sa gestion, le cas de l’UQAM de 1993/94 à 2003/04 » Mémoire. Montréal (Québec, Canada), Université du Québec à Montréal

Livres

  • Carbonnier, Carton, M., King, K., & Aebischer, P. (2014). Education, learning, training : critical issues for development. Brill Nijhoff
  • Cosnefroy, Ketele, J.-M. de, Hugonnier, B., Parmentier, P., Palomba, D., & Uvalic-Trumbic, S. (2020). L’internationalisation de l’enseignement supérieur : le meilleur des mondes ? De Boeck Supérieur

[1] Buscatto, M. (2016). “La forge conceptuelle. “Intersectionnalité” : À propos des usages épistémologiques d’un

concept (très) à la mode”, Recherches sociologiques et anthropologiques, 47-2, (101-115).

[2] Jaunait, A. & Chauvin, S. (2013). Intersectionnalité. Dans : Catherine Achin éd., Dictionnaire. Genre et science politique: Concepts, objets, problèmes (286-297). Paris: Presses de Sciences Po. 

[3] Robin, J. (2018). D’étudiante Erasmus professionnelle à professionnelle de la mobilité étudiante: la construction d’un habitus mobilitaire?. Journal of international Mobility, (1), 211-227

[4] Ibid, p.218

[5] Murphy-Lejeune, E. (2001). Le capital de mobilité: genèse d’un étudiant voyageur. Mélanges-Centre de recherches et d’applications pédagogiques en langues, (26), 137-165

[6] Collet, T. (2021). Stéphane Beaud et Gérard Noiriel, Race et sciences sociales, Essai sur les usages sociaux d’une catégorie. Humanisme331(2), 124-125.

[7] Mazouz, S. (2020). Race. Editions Anamosa. Collection “Le mot est faible”.

[8] Jaunait, A. & Chauvin, S. (2012). Représenter l’intersection: Les théories de l’intersectionnalité à l’épreuve des sciences sociales. Revue française de science politique, 62, (5-20). 

[9] Buscatto, M. (2016). “La forge conceptuelle. “Intersectionnalité” : À propos des usages épistémologiques d’un concept (très) à la mode”, Recherches sociologiques et anthropologiques, 47-2, (101-115).

Laisser un commentaire