[GROUPE 5] Billet collectif 2 – Trajectoire migratoire et professionnelle des exilé·e·s politiques chilien·ne·s à Bruxelles
L’enquête que nous avons réalisée n’a pas fait l’objet d’un cheminement linéaire mais a été marquée par plusieurs étapes distinctes. Initialement, notre sujet traitait de l’alimentation latino-américaine à Bruxelles. Au final, nous avons choisi d’étudier la trajectoire migratoire et professionnelle des exilé·e·s politiques chilien·ne·s ayant fui la dictature de Pinochet à Bruxelles. Nous nous sommes concentré·e·s sur le sens que ces personnes donnaient à leur expérience et sur les raisons qui les ont amené à rester en Belgique malgré le retour à la normale du Chili en 1989 et malgré un potentiel déclassement social et professionnel. Ainsi, la population étudiée était composée d’exilé·e·s politiques ayant fui le Coup d’Etat de 1973 au Chili adultes (donc d’un certain âge) et définitivement installé·e·s en Belgique.
Après avoir discuté avec notre professeure, nous avons considéré que l’approche théorique la plus adaptée à notre objectif de recherche était celle de l’hypothèse 0. Cette approche théorisée par Howard Becker vise à accéder à des données vierges de tout a priori, laissant ainsi aux sujets la plus grande liberté de déterminer ce qui a été important pour eux dans leur expérience de migration. Pour la récolte des données, nous avons utilisé la méthode du récit de vie qui nous permettait de réaliser de longs entretiens non dirigés afin de récupérer le matériel empirique le moins orienté possible et de pouvoir ensuite l’analyser et en tirer d’éventuelles généralités.
L’étape suivante était de rechercher des enquêté·e·s. Ayant une entrée dans le milieu avec le père d’Aymara, ancien exilé politique chilien, nous pensions obtenir des entretiens assez facilement. Néanmoins, dès le début de notre enquête, nous avons fait face à une grande difficulté pour trouver des personnes disponibles. Parallèlement à nos contacts personnels, nous avons utilisé d’autres canaux en publiant des annonces sur les réseaux sociaux ou en contactant des associations. A ce stade de notre enquête, faisant face à plusieurs refus et absence de réponses, nous avons été contraint d’ouvrir notre recherche à plusieurs générations d’exilé·e·s et pas seulement à celle ayant quitté le pays juste après le coup d’Etat. Progressivement, en relançant certain·e·s enquêté·e·s, nous avons réussir à obtenir un certain nombre de contacts.
Dès lors, nous avons commencé à préparer nos entretiens. Nous avons d’abord tenté de nous défaire de nos préjugés, notamment en nous renseignant sur le contexte politique chilien actuel et passé. Appréhendant leur longueur due à notre méthode et l’aspect émotionnel de notre sujet, nous avons décidé de réaliser les premiers entretiens à deux, ce qui s’est poursuivi pour une majorité d’entre eux. Dans la conduite de nos entretiens, la difficulté principale que nous avons ressentie a été de garder une position neutre, mais sans paraître insensible face à des récits souvent très touchants. Au vu de notre approche théorique, nous devions également intervenir le moins possible dans l’entretien afin de ne pas orienter les réponses. Ainsi, nous avons souvent débuté nos entretiens en expliquant notre méthode et notre volonté de retracer leur parcours depuis leur enfance. Il nous arrivait toutefois de poser des questions très larges ou de relance si cela était nécessaire.
Notre travail comporte plusieurs limites, la plus grande résidant dans la faible quantité de matériel empirique récoltée. L’effet boule de neige ne s’est pas vraiment produit et nous avons finalement un échantillon de dix entretiens, dont deux qui ne correspondent pas tout à fait à notre population de base. Toutefois, nous avons mis ces données en commun et nous avons constaté que de nombreux éléments se répétaient. Ainsi nos résultats se basent sur l’analyse de données limitées et ne prétendent pas pouvoir tirer des conclusions sur l’expérience de l’ensemble de la population concernée.
Nous avons d’abord remarquer une ambivalence dans le rapport que nos enquêté·e·s entretiennent vis-à-vis de leur pays d’origine. D’une part, iels se sentent tou·te·s chilien·ne·s, une majorité retourne régulièrement au pays et certain·e·s sont même retourné·e·s y vivre plusieurs années. D’une autre côté, d’autres n’aiment vraiment plus leur pays, jusqu’à ne plus avoir envie d’y retourner. En effet, ils dénoncent un pays où il ne fait plus aussi bon vivre qu’avant. Le pays ne se serait jamais relevé de la dictature et aurait régressé socialement. Iels dénoncent, pour beaucoup, un pays ultra-libéral, ce qui est une douche froide pour des personnes qui soutenaient le président Allende et qui ont une vision plutôt marxiste de la société. Certain·e·s ont même combattu la dictature et fait de la prison pour les valeurs qu’iels défendaient. Ces valeurs, iels ne les retrouvent pas au Chili actuel, malgré le retour de la démocratie. Cela leur apparait d’autant plus flagrant en comparaison avec l’expérience vécue en Belgique. Une de nos enquêté·e·s a pu reprendre des études à Bruxelles, alors qu’une fois retournée à Santiago, elle dû faire face à des frais universitaires impayables pour sa fille. Ainsi, retourner à Bruxelles est apparu comme une solution pour elle. Toutefois, cette enquêtée a aussi fait le choix de retourner à Bruxelles pour y retrouver ses proches et notamment son fils.
En effet la question de la famille est primordiale dans la décision de s’installer. Après des années passées en Belgique, leurs enfants ont grandi et ont fait leur vie en Belgique, iels ne se voyaient donc pas s’éloigner d’eux. La question du cercle, plus élargi, des proches, est importante aussi. En effet, en arrivant à Bruxelles, beaucoup ont retrouvé des amis chilien·ne·s, se sont intégré·e·s à un véritable groupe d’exilé·e·s, très soudé. Ce réseau leur a souvent permis de trouver des premiers emplois à Bruxelles.
L’emploi, est là aussi un critère primordial d’installation. Pour beaucoup, il y a eu un sentiment de déclassement professionnel en arrivant en Belgique, leurs diplômes n’étant pas reconnus. Rapidement, iels ont dû occuper des petit boulots pour subvenir à leurs besoins. Un enquêté, ingénieur, s’est retrouvé homme de ménage dans une école, un professeur d’art plastique s’est retrouvé à faire des « petits boulots de merde », un ingénieur est devenu employé dans une cantine. Mais pour beaucoup, ce sentiment de déclassement les a aussi poussé à reprendre le contrôle de leur vie, après un exil forcé. L’ingénieur-cantinier est devenu traducteur, celui qui s’est retrouvé homme de ménage a monté les échelons dans les institutions européennes. Le parcours d’une de nos enquêté·e·s est plutôt particulier car elle a subi deux fois le déclassement. Une première fois à son arrivée en Belgique où elle n’a pas pu continuer ses études universitaires et a dû occuper des emplois alimentaires. Toutefois, elle a rapidement entrepris des études d’assistante en psychologie à Bruxelles, mais une fois retournée au Chili elle a connu un deuxième déclassement car son diplôme n’y était pas reconnu et elle a dû retrouver des emplois alimentaires. Elle est désormais à nouveau à Bruxelles, et a repris le cours de sa carrière.
Enfin, la durée de la dictature a influencé la vie des exilé·e·s que nous avons interrogé, iels se sont adapté·e·s, sont retourné·e·s sur les bancs de l’université, ont créé un cercle de proches autour d’eux… Au bout d’autant d’années, il leur est souvent paru évident que leur vie se trouvait désormais en Belgique et non plus au Chili.