La révolution des réseaux sociaux : une vitrine privilégiée du conspirationnisme-billet individuel de Xavier Bernoud
Dans le cadre de notre enquête sur l’influence des réseaux sociaux sur l’adhésion des jeunes aux théories complotistes post attentats, j’ai décidé de consacrer ce billet à la manière dont l’émergence d’internet à fait exploser la visibilité des théories complotistes.
La rhétorique complotiste n’est pas nouvelle. Si 2015 marque certainement la prise de conscience par les institutions de l’existence et du sérieux du phénomène, l’imaginaire complotiste prend sa source bien avant même le développement d’internet. Dès lors, la nouveauté de ces courants de pensée ne réside pas dans le fond, ni même dans le contexte de la crise du terrorisme (qui n’est pas la première que l’Europe a pu traverser), mais bien dans leur mode de diffusion, qui a vu dans le développement d’internet un formidable vecteur de propagation. Pour expliquer ce nouveau mode de diffusion, il est nécessaire de le relier directement avec l’évolution du rapport de la population a l’information, et plus spécifiquement du rôle filtrant des réseaux sociaux.
Comment s’informait-on avant l’ère d’internet ? Le moindre renseignement nécessitait un coût, qu’il soit en temps (aller à la bibliothèque, regarder dans le dictionnaire) ou en argent (acheter le journal ou un livre). Aujourd’hui, quelques mots clés, une simple recherche Google est à même de nous satisfaire. Or, cette manière de « consommer » de l’information a peu à peu fait évoluer notre rapport à elle en développant une certaine forme de paresse intellectuelle : nous voulons de l’information gratuite, immédiate, facile d’accès et de surcroit, de l’information qui nous plaise. D’où la nécessité pour les médias, qu’ils soient professionnels ou amateurs, de s’adapter à cette demande d’information en proposant du contenu accrocheur et débarrassé des codes traditionnels de déontologie médiatique. Ce phénomène, que le sociologue Gerald Bronneur qualifie de dérégulation du marché cognitif, les réseaux sociaux, tels que Facebook, l’ont bien assimilé.
Analysons ce rôle prédominant des réseaux sociaux dans le contexte de notre sujet d’enquête. Dans un entretien réalisé pour notre enquête, Rudy Reichstadt, créateur du site Conspiracy Watch, pointait du doigts plusieurs mécanismes permettant la diffusion du complotisme sur les réseaux sociaux. Premièrement, et nous l’avons évoqué plus haut, la manière de s’informer, et tout particulièrement chez les jeunes que nous étudions, se limite bien souvent au prisme des réseaux sociaux, terrain privilégié des relais complotistes. En outre, et cela a notamment été dénoncé lors des élections américaines, les algorithmes des réseaux sociaux sont conçus de telle manière qu’il ne nous est proposé que du contenu filtré, correspondant à nos connaissances et opinions préalables, empêchant dès lors de pondérer l’information reçu avec un contre point de vue. Ces bulles de filtre participent à un certain enfermement algorithmique favorisant l’ancrage des courants complotistes dès lors que le consommateur y est confronté. Or, comment les médias complotistes peuvent-ils parvenir à justement capter une première fois l’attention du consommateur ? Plusieurs procédés existent, mais l’un d’eux est à retenir par son originalité. La culture internet du clic, du buzz, conduit certains médias à publier une information accrocheuse, parfois complètement loufoque (un article sur les aliens par exemple) ou séduisante (un article sur un concours de beauté) mais dans tous les cas, complètement dénuée de connotation conspirationniste. Cet article accrocheur encouragera donc le consommateur à cliquer et ainsi visiter le média en question, qui le renverra alors à d’autres contenus diffusant cette fois ci la contre vérité soutenue par le diffuseur.
A travers cette esquisse des modes de diffusion du conspirationnisme sur internet, on aperçoit donc le potentiel de diffusion de ce support pour les théories du complot. Cette diffusion trouve un écho d’autant plus fort chez les jeunes que ceux-ci s’informent aujourd’hui souvent exclusivement à travers le prisme des réseaux sociaux. Il n’est donc pas surprenant que ces derniers soient aujourd’hui devenus une vitrine privilégiée des courants conspirationnistes.
Xavier Bernoud