Résultats- Adhésion des jeunes aux discours complotistes. Cas d’études: Les attentats du 13 novembre 2015 à Paris et du 22 mars à Bruxelles. (Mélissande Boyer; Sophie Golfinos, Xavier Bernoud, Alexis Clerebaut)
Pour notre enquête sur l’adhésion des jeunes aux discours complotistes. Voici la généralisation des résultlats. D’abord sur base de ce qui ressort des entretiens, ensuite sur base de l’analyse des questionnaires.
Analyse des entretiens:
Nous avons rencontré Rudy Reichstadt, créateur du site Conspiracy Watch. Il ressort de cet entretien que la visibilité du conspirationisme a été bouleversé par l’essor d’internet et des réseaux sociaux. Plusieurs phénomènes liés à l’émergence d’internet sont ici à analyser, mais ces phénomènes concernent avant tout notre rapport à l’information et à la communication. Dorénavant, l’information est gratuite, immédiate et sa provenance est illimitée. Cette multitude de sources informatives a transformé l’information en produit puisqu’il est à présent nécessaire pour tout type de médias d’être consulté, de « faire du clic » pour survivre. Il est donc nécessaire pour les médias de proposer du contenu accrocheur dans le but d’attirer les internautes, et d’être partagés sur les réseaux sociaux. Or, cela est extrêmement bénéfique à la rhétorique complotiste puisque cette dernière est par essence accrocheuse. Elle est donc plus susceptible d’être partagée et de se répandre par l’intermédiaire des réseaux sociaux. Le rôle des algorithmes des réseaux sociaux est également à relever : ces algorithmes sont faits de telle manière qu’il ne nous est proposé sur les réseaux sociaux que du contenu susceptible de nous plaire, dans le but de nous inciter à les consulter. Ces bulles de filtres conduisent à ce que l’on appelle l’enfermement algorithmique, puisque in fine, seul du contenu correspondant à nos opinions préalables nous ai proposés si bien qu’une fois rallié à la rhétorique complotiste, il est très difficile d’en sortir. Or, notre population d’étude, la jeunesse, a grandi avec l’émergence d’internet ce qui en fait un moyen d’information privilégié des jeunes.
Cette problématique du complotisme chez les jeunes a conduit les associations jeunesse bruxelloises à réagir après les attentats. Nous avons rencontré à cet effet Simon Therer, coordinateur au Centre d’Information et de Documentation de la jeunesse (CIDJ), à Bruxelles. Cette fédération, qui rassemble 7 ONG, est particulièrement active dans ce domaine par l’intermédiaire de trois d’entre elles (Bepax, Média animation et Zin TV). Elles ont multiplié la production d’outils pédagogiques à destination des enseignants et des jeunes dans le domaine du complotisme. Des fiches pédagogiques et des manuels à destination des enseignants, des jeux de société, ainsi que le lancement d’un site internet interactif sur la théorie du complot par média animation il y a deux mois environ (http://www.theoriesducomplot.be/#INTRO). Des ateliers sont également régulièrement mis en place : certains proposent à la jeunesse de mener leurs propres reportages, afin d’aiguiser leur sens de l’information, d’autres sont des espaces de débat libre permettant la confrontation des idées afin de permettre aux jeunes d’avoir accès à une pluralité d’opinion sur les thèmes de la citoyenneté qui leur est interdite sur les réseaux sociaux.
Cette nécessité du débat auprès des jeunes est également partagée par Thibault Zaleski, professeur d’histoire de formation, qui travaille pour le compte de l’association jeunesse Coordination Nationale d’Action pour la Paix et la Démocratie. A cet égard, Thibault Zaleski se rends régulièrement dans les établissements scolaires afin d’aborder la thématique du terrorisme avec les élèves et d’en expliquer les ressorts, ce qui le place en première ligne des arguments complotistes chez les jeunes. Il ressort de ces ateliers que les jeunes sont effectivement sensibles aux arguments complotistes mais que cela provient plus d’un rejet des médias et des politiques que d’une véritable conviction conspirationniste, ce qui va dans le sens de l’enquête par questionnaires. La remise en question des causes du terrorisme est vécue par les jeunes comme un tabou absolu, et cette quasi interdiction de douter et critiquer l’information médiatique ne les rends que plus sensibles aux contre-vérités. Cela semble donc venir confirmer notre ressenti par rapport aux questionnaires.
Analyse des questionnaires:
1) Les caractéristiques socio-culturelles individuelles des jeunes telles que la nationalité, la religion, la profession des parents influenceraient la sensibilité des jeunes à l’adhérence aux discours complotistes. FAUX. Sur base de nos recherches nous devons INFIRMER cette hypothèse. En effet, aucun profil particulier chez les jeunes ne s’est illustré parmi ceux qui semblent adhérer à des discours faux et complotistes, ni même chez ceux qui ont répondu autrement d’ailleurs. Remarquons toutefois que parmi ceux qui ont répondu « JE NE SAIS PAS » à la question s’ils pensent qu’il existe d’autres explications que celles véhiculées par les médias aux événements du 13 novembre 2015 et du 22 mars 2016, 5 sur les 12 se déclarent musulmans ce qui représente 41,67 pourcent du groupe et qui donc représente notre seule irrégularité sur base confessionnelle parmi nos statistiques.
2) Le mode d’information (internet, réseaux sociaux, télévision, radio) influencerait l’adhérence des jeunes au discours complotiste et de contrevérité. VRAI. Cette hypothèse est confirmée. D’une part sur base de notre propre base de données : Les jeunes qui adhèrent le plus à la rhétorique complotiste s’informent presque exclusivement via internet et les réseaux sociaux tandis que les jeunes qui adoptent une posture critique mais mesurée s’informent souvent via plusieurs supports. (4,65 % radio, 35,38 % internet, 40 % télévision, 10,77 % presse écrite,) Sur les 13 profils adhérents à des discours complotistes dans notre échantillon global 7 déclaraient utiliser internet comme type de média le plus important pour s’informer soit 53, 85 % pour seulement 7, 69 % pour la presse écrite ou encore 0prct pour la radio. D’autre part, sur base de notre état de l’art. En effet, nous y avons découvert que « l’apparition d’Internet a permis l’accélération de la propagation et l’amplification de fausses informations. Internet par sa gratuité et sa portée géographique permet de mobiliser un public déjà convaincu et leur faire partager une socialisation commune qui va participer à la création de fausses informations. »
3 L’hypothèse que les médias influencent l’adhérence des jeunes aux discours complotistes et de contrevérité, sur base de nos résultats, semblent se vérifier. En effet, si l’on compare, dans notre base de données, les jeunes qui adhèrent aux discours complotistes au reste de l’échantillon, nous observons que les taux de confiance envers les médias qui ressortent sont de 1 (46,15 %) et 2 (30, 77 %) sur une échelle de 0 à 4 alors que pour les autres groupes de répondants de l’échantillon, le mode est de 2 ou 3. Nous pouvons donc dégager une tendance, sans pour autant que cette dernière soit très forte et très explicite dans notre enquête.
4 L’hypothèse que le milieu familial participe à l’adhérence des jeunes aux discours complotistes semblent se vérifier et ce de manière indirecte. En effet, il ne s’agit pas d’une influence qui se porte uniquement sur ce groupe de jeunes là en particulier, mais sur les jeunes en général. En effet nous avons pu observer dans notre base de données une corrélation entre l’estimation du degré de confiance envers les médias que les jeunes donnent à leurs parents et la leur. Pour celle du groupe complotiste et de leurs parents on se situe comme mode à 1 alors que le mode des autres groupes et ceux de leurs parents varient entre 2 et 3. On peut parler de vérification indirecte car il s’agit bien d’une estimation que les enfants donnent à leurs parents et non d’une donnée chez les parents mêmes.
5 Enfin, notre dernier point s’érige en contre-hypothèse, c’est à dire que notre hypothèse de départ prévoyait une adhérence des jeunes aux discours de contrevérité plus importante que ce que nous avons récolté comme informations. En effet, sur base de ce que nous avons récolté comme informations auprès de 121 jeunes, 13 ont développé un argumentaire complotiste ou développé des argumentations fausses ce qui représente 10,74 %, chiffre relativement faible, terme toutefois relatif, mais qui est en dessous de ce à quoi nous nous attendions.
Mélissande Boyer, Sophie Golfinos, Xavier Bernoud,
Alexis Clerebaut.