Groupe 10 – Résultats de l’enquête : « les différences de cultures féministes et leur impact sur les revendications de ces associations »
Pour rappel, notre travail consiste à comparer féminisme « occidental » et féminisme musulman. Nous avions fait l’hypothèse suivante : « les clivages entre le féminisme mainstream et le féminisme musulman s’expliquent par le degré de modernité du féminisme en question ».
Ce choix est dû au fait que le féminisme « occidental » s’est construit en opposition avec la tradition alors que le féminisme musulman se réapproprie la tradition, ici, la religion, pour appuyer ces revendications féministes. Dans le même temps, les féministes musulmanes se voient souvent reprochées d’être illégitimes parce que leurs modes d’expression relèveraient de traditions patriarcales, reproche illustré notamment par les polémiques sur le port du voile.
Comme variables du rapport à la modernité, nous avons choisi la question de la tenue vestimentaire et du harcèlement sexuel pour savoir quel est le rapport des féministes interrogés aux problématiques d’émancipation individuelle et de libre choix. Enfin, nous avons cherché à comprendre quelles étaient la position des féministes interrogées sur les questions présentées comme susceptibles de les opposer à d’autres courants féministes.
ENTRETIENS
Trois des quatre féministes occidentales ainsi que la féministe musulmane que nous avons interrogée considèrent que le port du voile ne devrait pas être une question divergente au sein du féminisme : selon elles, tant que la personne ait fait le choix personnel de porter le voile, nous ne devrions pas la considérer comme une non-féministe. Mais si le voile, le lui est imposé, dans ce cas-ci, il faudrait la remettre en question avec le féminisme. Pour ces féministes interrogées, le port du voile pourrait être autorisées dans l’espace public, sur le lieu de travail, dans l’éducation, etc., car elles pensent que nous ne devrions pas juger les compétences professionnelles ou scolaire d’une personne par sa tenue vestimentaire ou par ses croyances religieuses.
D’après l’ensemble des féministes avec qui nous nous sommes entretenues, nous ne devrions pas juger une personne juste par sa tenue vestimentaire, quelle qu’elle soit. Quant au harcèlement sexuel, il ne devrait pas être justifié en soi. Selon elles, personne ne devrait harceler, agresser, manquer de respect ou encore dénigrer quelqu’un pour sa tenue vestimentaire ou dans un but de chantage Il s’agit d’une atteinte à la « dignité de la personne » et à l’être humain en général. Nous pouvons donc conclure de notre mini-échantillon d’enquêtes de terrain, que les deux types de féminismes sont sur la même longueur d’onde par rapport aux questions de liberté de choix et d’émancipation individuel.
La féministe musulmane que nous avons interrogée rajoute en outre beaucoup de considérations liées aux reproches qu’elle a à faire aux féministes « mainstream », faisant selon elle un amalgame entre l’émancipation progressiste de la femme connu en Occident et le port du voile qui est pour certaines un choix spirituel religieux qu’il ne faut pas voir comme patriarcal sous prétexte que l’émancipation féminine en Occident s’est exprimé de façon différente quant à l’apparence vestimentaire.
Selon la féministe musulmane interrogées, les féministes « mainstream » définissent la neutralité et l’universalité comme nécessitant que « tout le monde soit pareil ». La féministe musulmane interrogées ajoute qu’elle considère l’universalité comme le fait d’avoir un système qui incluant toutes les cultures, en tenant compte et en acceptant leurs différences. Pour elle, le féminisme « mainstream » se base trop sur l’histoire et le capitalisme de l’Occident sans tenir compte de l’histoire des autres coins du monde, bien que le « capitalisme n’ait pas de frontière ».
La féministe musulmane interrogée définit le féminisme comme un combat pour « toutes les femmes » et voit le féministe « mainstream » comme un combat pour « les femmes qui leur ressemblent ». De plus ces féministes « mainstream » ne vont pas défendre les femmes voulant porter le voile à l’école ou au travail, ce qui représente une contradiction car l’émancipation féminine est liée au travail et à l’éducation. A contrario, la féministe musulmane, elle, se battrait « pour que les femmes ne voulant pas porter le voile, l’enlèvent ». Par conséquent, elle reproche aux féministes « mainstream » de créer des discriminations en voulant « défendre que les femmes qui leurs ressemblent » et de faire des généralités trop simplistes. Cela créé une stigmatisation et par la suite une racisation socio-culturelle de ce qui ne provient pas de l’Occident, et c’est de ce constat sur les insuffisances du féminisme « mainstream » que la féminisme asiatique, musulman et l’afro-féminisme se développent.
CONCLUSION
L’échantillon de personnes interrogées et certes faible, mais de par l’ancrage des militantes interrogées dans des associations de terrain elles-mêmes en réseau avec d’autres structures, on peut considérer que les militantes interrogées représentent une certaine tendance qui ne s’arrête pas à leur personne. Des entretiens qu’elles nous ont accordé, nous avons pu répondre de façon négative à notre hypothèse : non, ce ne sont pas les rapports différents à la modernité qui expliquent les clivages entre féminismes, car il s’est avéré que les féministes musulmanes comme « occidentales » que nous avons interrogées avaient les mêmes revendications en bonne partie, mais ne les exprimaient simplement pas de la même manière, et elles sont toutes sensibles à la question de la liberté de choix. La féministe musulmane interrogée a en outre permis de constater que de son côté, son clivage existe non pas par rapport au féminisme « occidental » inclusif, mais plutôt par rapport au féminisme « occidental » « mainstream, et qu’elle fonde à partir de ce désaccord une préoccupation pour la stigmatisation raciale qu’elle articule avec son engagement féministe. Enfin, les féministes « occidentales » que nous avons interrogées peuvent dès lors être considérées comme « inclusives », et étant donné qu’elles font partie d’associations bruxelloises de terrain, on peut en déduire que le terrain féministe bruxellois est finalement ouvert aux féminismes « alternatifs » , ce qui va a contrario de l’image donnée par les médias du féminisme : sur le terrain, la convergence des luttes semble bien plus réalisable que dans les journaux ou à la télévision.
Astrid D., Sylvie H., Mehmet K., Nicolas M., Ines T.