[Groupe 2] – Billet collectif n°2 : La place Lumumba comme illustration d’un conflit mémoriel en Belgique autour de la (dé)colonisation du Congo – résultats

[Groupe 2] – Billet collectif n°2 : La place Lumumba comme illustration d’un conflit mémoriel en Belgique autour de la (dé)colonisation du Congo – résultats

Il est désormais temps pour nous de vous présenter nos résultats. Nous allons ici tâcher, grâce au croisement des résultats apportés par nos différentes méthodes de collectes de données, de vérifier nos trois hypothèses de départ et de répondre finalement à notre question de recherche.

Notre première hypothèse – il n’y a pas d’opposition « frontale » entre deux discours distincts, et homogènes – se vérifie, du moins en partie. Nos différentes méthodes nous ont en effet confirmés l’existence de passerelles entre le Collectif et le monde politique, plutôt qu’une opposition franche entre deux discours opposés. En effet, si le Collectif et d’autres acteurs ont permis par leurs activités et revendications à mettre la décolonisation de l’espace public et la création d’une place Lumumba pour ce faire à l’agenda, s’ils ont fait face à une certaines réticence de la part de certains acteurs politiques, ils ont ont aussi bénéficié de large relais. Les représentants du collectifs nous ont souvent affirmés ne pas avoir « d’ambition politique », il n’y a pas de parti « Mémoire Coloniale » à l’horizon. Ainsi si le Collectif lutte pour la reconnaissance pour une historiographie alternative, et la reconnaissance du passé colonial belge et ses héritages, leurs revendications trouvent un écho chez certains acteurs politiques. Au sein du conseil communal ixellois,  certains partis se sont ainsi de « porte-parole » du discours du collectif et de leurs idées. A Ixelles, le CDH et le parti Ecolo, via notamment leurs conseillers communaux Julie de Groote et Ken Ndiaye ont ainsi défendu la création d’une place Lumumba comme un important travail de mémoire : « il ne s’agit pas d’histoire de Patrice Lumumba (…) il est question d’abord et avant tout pour nous ici, d’une histoire de la Belgique » (K. Ndiaye – Conseil Communal Ixelles – 24.10.2013).

S’il existe bien des mémoires en conflit autour de ces enjeux, nous avons donc observé une large division à ce sujet au sein du monde politique. En effet, si certains se sont effectivement opposé à ce projet et ont porté un certains discours « dominant » qui élude la question coloniale, nous avons aussi pu observer des connivences entre certains partis et le Collectif. Loin d’être deux pôles homogènes isolés et en opposition, les partis viennent se renseigner auprès du Collectif, devenu presque incontournable lorsqu’il s’agit de traiter de (dé)colonisation en Belgique. À tel point que, lorsque Philippe Close, bourgmestre de Bruxelles-Ville, a envisagé de créer une place Lumumba dans « sa » commune, il s’est adressé directement au Collectif. Ce dernier diffuse en quelque sorte du savoir et des arguments autour de la colonisation, et d’autres personnes les reprennent ou s’y opposent.

Notre seconde hypothèse fondait l’existence d’une opposition entre un discours dit « revendicateur » porté par le Collectif, une mémoire alternative face à un silence plutôt qu’une position affirmée du discours dit « dominant ». Cette hypothèse se vérifie également en partie bien que nous verrons que ce silence n’en est pas tout à fait un à proprement parler. Il existe en effet un discours « revendicateur » de la part du Collectif qui lutte explicitement pour un travail de mémoire et la reconnaissance d’une autre historiographie. Un discours qui se dit panafricaniste, luttant contre les discriminations, et pour la décolonisation de tant de l’espace public que des esprits. Il porte donc une volonté manifeste de déconstruction de la mémoire collective, dominante pour la reconnaissance d’une mémoire plus critique, réflexive.

Face à cette mémoire là, nous trouvons, tout d’abord, un discours divisé comme nous l’avons déjà exposé. Nous trouvons aussi chez les détracteurs de la place Lumumba diverses stratégies. Les représentants des partis MR et Défi ont ainsi justifié leur opposition en pointant du doigt les possibles problèmes de sécurité qu’une telle place pouvait entrainer, risquant de devenir un foyer à émeutes, en évoquant les difficultés administratives engendrées par l’attribution d’un nouveau nom à une place, ou encore le caractère controversé de la figure de Lumumba. Sans s’attarder sur Lumumba en tant que tel ou les raisons de son caractère controversé, ils ont alors plutôt proposé à la place la création d’une place Mandela ou Senghor, des personnages plus consensuels. Enfin, la création d’une place Lumumba a été mise à l’agenda politique en 2013, elle a été négociée pendant 5 années ponctuées par des promesses de continuer la discussion de manière plus approfondie dans des commissions qui n’ont jamais vu le jour…

Ces divers arguments permettent de mettre en lumière une sorte de stratégie d’évitement de la part des « anti-place Lumumba ». Ces derniers se sont ainsi opposés à la création de la place sans réellement se prononcer sur le fond : la figure de Lumumba elle-même ou la mémoire coloniale en Belgique. Ainsi, on observe en effet d’une part un discours clair, une mémoire alternative affirmée face à un embarras et une tentative de se réfugier derrière des arguments d’ordre pratiques plutôt que de se prononcer sur le débat de fond.

Enfin, nous pouvons également vérifier notre dernière hypothèse : cet événement cristallise un conflit mémoriel plus large. Cette hypothèse nous permet également de répondre à notre question de recherche : oui, la création de la place Lumumba illustre un conflit mémoriel plus large autour de la (dé)colonisation en Belgique. En effet, si cet événement avait pour enjeu la création d’une place au nom de Lumumba, ce qui s’est joué était surtout la reconnaissance par la Belgique de son passé (et présent) (post)colonial. Dès lors, plutôt qu’un événement isolé, il semble plutôt un épisode d’une longue série de revendications, d’oppositions et de débats autour de la colonisation en Belgique et de ses héritages, un thème en perpétuel débat dans notre société et pourtant souvent passé sous silence. Il s’agit là d’un sujet de controverse qui connait de nombreux épisodes et qui revient constamment à l’agenda à travers différents aspects.

Dans notre étude nous avons retrouvé des argumentaires qu’on retrouve également souvent dans les controverses autour de la (dé)colonisation du Congo en Belgique. Nous pensons notre cas typique, emblématique car la figure de Patrice Lumumba est hautement symbolique de ce conflit mémoriel, il incarne en quelque sorte le nœud de tensions plus larges. Pour certains il est le porte-drapeau des revendications anticoloniales, pour d’autres il est ou bien un personnage néfaste sinon un personnage gênant, le signe d’une institution coloniale belge embarrassante qui peine à être déconstruite, remise en question. En effet, inscrire Lumumba dans la capitale belge face à Léopold II est un acte fort, chargé symboliquement. Si certains se sont donc montré réticent, néanmoins depuis le 30 juin dernier une place porte son nom, mais à Bruxelles-Ville. D’après le Collectif, il y a eu là une sorte de récupération, d’opportunisme politique de la part de Philippe Close au vue des élections communales qui se profilaient. Néanmoins, quelles qu’en soient les causes Lumumba est maintenant inscrit dans le patrimoine bruxellois, une étape décisive pour le collectif ainsi que les politiques qui l’ont soutenu, mais qui marque plutôt le début que la fin d’un travail mémoriel plus large qui passera aussi nécessairement par un travail de fond sur la manière dont on en enseigne, ou on n’enseigne pas le passé colonial belge et ses survivances.

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