[Groupe 7] Billet collectif n°1 : inégalités scolaires – quels freins à la mixité sociale ?
L’idéologie de l’école libératrice prétend que l’école aide à l’égalité et à l’ascension sociale. Pour Pierre Bourdieu[1] cette idéologie est trompeuse : l’école reproduit les distinctions sociales. Sa théorie trouve une application en Belgique, où la liberté du choix d’enseignement est difficilement conciliable avec la mixité sociale.
Le système scolaire belge est particulier. A la création de l’état Belge en 1830, le compromis entre libéraux et catholiques a abouti à l’inscription dans la Constitution de la liberté d’enseignement[2]. Avec le temps, cette liberté de choix « confessionnelle » s’est muée chez certaines familles en un choix « consumériste » dans le cadre d’un « marché éducatif »[3]. Le paysage scolaire s’est progressivement « morcelé » en « niches éducatives »[4]. La recherche d’entre soi des parents[5] concourt également à l’émergence d’établissements scolairement et socialement plus homogènes. Dans ce jeu de l’offre et de la demande, certaines écoles mettent en place des formes de sélection déguisées. La conséquence en terme de résultats scolaires se matérialise aujourd’hui par « des écarts alarmants entre établissements selon leur composition sociale[6] ».
Dans ce contexte, la mise en place du décret inscription en 2010 avait un double objectif : rétablir le libre choix des parents pour l’inscription des enfants tout en introduisant une dose de mixité sociale avec une priorité aux élèves issus des écoles à faible réussite scolaire[7].
Sa méthode : un Formulaire Unique d’Inscription. Les familles listent par ordre de préférence jusqu’à 10 établissements scolaires. Un algorithme distribue les élèves dans les écoles en prenant en compte différents critères (priorité dans les choix, proximité géographique, présence d’un frère ou d’une sœur dans l’établissement, scolarisation dans une école à faible réussite scolaire). L’application du décret a été décriée. Des économistes de l’UCL ont montré[8] comment ce décret et les critères de l’algorithme répartissant les élèves peuvent inciter les familles à ne pas mettre l’école la plus désirée en premier dans le Formulaire Unique d’Inscription. Le rapport de la commission de pilotage relatif au décret Inscriptions remarque l’absence d’évolution significative de la mixité dans les écoles.[9] Enfin, dans un récent mémoire Bouchra Fredj met en avant la non prise en compte par le décret des différences sociales et culturelles entre les familles[10] : « Le décret inscriptions traite tous les dossiers de manière égalitaire, comme si toutes les familles étaient égales et semblables ». Nous souhaitons poursuivre le travail d’analyse des critères de choix des familles populaires initié par Bouchra Fredj.
Notre étude de cas prendra comme territoire Braine-L’Alleud. Deux écoles fortement différenciées sont géographiquement proches. L’école privilégiée (école A) n’attribue pas l’intégralité des places réservées aux élèves défavorisés qui se concentrent dans l’école B. Pourquoi à Braine-L’Alleud les familles non privilégiées n’inscrivent pas leur enfant dans l’école la plus favorisée ?
Notre méthode sera basée sur des entretiens avec les parents,
des questionnaires aux élèves (école B), un entretien avec la direction de
l’école privilégiée (A) et des entretiens avec des familles ayant bénéficié de
la discrimination positive (école A).
[1] Bourdieu, L’école conservatrice. Les inégalités devant l’école et devant la culture, Revue française de sociologie Année 1966, 7-3 pp. 325-347
[2] Balfroid, Deceuninck, Draelants, Penser les choix scolaires à partir de la sociologie des agencements marchands. L e cas de la réforme des inscriptions en Belgique francophone. Éducation comparée / nouvelle série, n°23, pp 131-158, UCL, Belgique, à paraître.
[3] Idem
[4] Dupriez, V., & Cornet, J., La rénovation de l’école primaire : comprendre les enjeux du changement pédagogique. De Boeck Supérieur, 2005, cité par Balfroid
[5] Van Zanten, A., Choisir son école. Paris : PUF, 2009
[6] Lafontaine, D., Baye, A., Burton, R., Demonty, I., Matoul, A., Monseur, C. , Les compétences des jeunes de 15 ans en Communauté française en lecture, en mathématiques et en sciences : résultats de l’enquête PISA 2000, Cahiers du Service de Pédagogie Expérimentale, 2003, pp13-14.
[7] Balfroid, ibid.
[8] Decerf, Grandjean, Truyts, Le décret inscription, la vérité si je mens, Regards économiques, mai 2018
[9] Balfroid, se basant sur Commission de pilotage du système éducatif (2014). Rapport de la commission de pilotage relatif au décret Inscriptions.
[10] Fredj, B., Décret inscription et classes populaires, critères et processus de choix (mémoire sous la direction de Hugues Draelants), UCL, 2019