[GROUPE 12] Billet collectif- La perception du déclassement par les femmes immigrées : étude du cas des aides-soignantes congolaises à Bruxelles.
« Je vais vous dire combien je gagne: 10,29 de l’heure. 10,29 pour faire aide-soignante, pour s’occuper des gens qui vont à la mort. Non, mais, ça veut dire quoi? (…) C’est honteux pour un travail comme on fait! On a de la colère, on a de l’amertume ». Ce sont les mots de Nadège dans « Un podcast à soi ». Anne-Marie Armorio, sociologue, a qualifié les aides-soignantes de personnel invisible, à qui on reléguait le « sale boulot ». Nous avons voulu nous pencher sur un groupe d’aides-soignantes congolaises qui travaillent dans des maisons de repos à Bruxelles.
Essentiellement, nous cherchons à savoir pourquoi et comment elles en sont arrivées là. Dans ce billet, nous expliquerons l’intérêt particulier de la recherche sur ces femmes et développerons ensuite le nœud du problème en identifiant les enjeux. Enfin, nous détaillerons le choix du terrain et la méthode de collecte des données.
Lors de nos explorations de la littérature au sujet des femmes immigrées en Europe, nous avons pu rencontrer de nombreuses études quantitatives et statistiques. Cependant, il ressort de nos recherches que peu d’attention a été portée à l’aspect qualitatif de notre sujet, à savoir le travail des femmes congolaises en Belgique ou à Bruxelles et ce malgré l’étendue de la recherche sur les femmes du « Sud » qui ont migré en Occident et exercent dans les métiers du care. On peut penser notamment aux Philippines, nounous ou infirmières aux Etats-Unis ou encore aux aides-ménagères Latino-Américaines en Espagne. Notre enquête cherche à appréhender la perspective de ces travailleuses. A notre petite échelle, nous espérons pouvoir soutenir, d’une certaine manière, la construction de leur visibilité dans le débat public.
En raison notamment des liens coloniaux qui unissent la Belgique et la République Démocratique du Congo (RDC), il existe à Bruxelles une communauté de Congolais·es. D’après certaines études, cette population est surqualifiée (elle occupe des postes qui requièrent, en théorie, un niveau de qualification moins élevé que celui possédé). De plus, les femmes congolaises sont plus susceptibles que les hommes de la même origine de connaître un déclassement professionnel. En Belgique, les métiers d’infirmière et d’aide-soignante sont en pénurie ou à un seuil critique. Cela fait partie de ce que certain·es chercheur·ses ont appelé la « crise du care »; comprenez la pénurie de care au Nord qui produit la migration de femmes, le plus souvent du Sud. Ce phénomène crée, à terme, une insuffisance de care dans leur pays d’origine.
Dans ce cadre particulier, plusieurs questions se posent. Premièrement, celle du déclassement et de la perception de ce dernier par les aides-soignantes. En effet, si dans leur pays d’origine, ces femmes bénéficiaient d’un certain statut, comment conçoivent-elles leurs conditions de vie ici? Deuxièmement, on peut se demander si la migration résulte d’un compromis; d’une part elles cèdent un certain statut social dans leur pays d’origine et occupent un emploi plus précaire dans celui d’accueil, d’une autre elles aspirent à vivre en Europe où les opportunités sont plus nombreuses. Enfin, nous nous demandons dans quelle mesure la pénurie ou la régularisation sont des paramètres influents dans le choix du secteur.
Nous avons choisi de concentrer notre travail de terrain sur un petit groupe de dames originaires de RDC, chacune aide-soignante. Elles répondent aux critères de la population qui nous intéresse (femme, ayant migré, exerçant dans le care) et elles sont migrantes de première génération. Bien qu’elles exercent toutes la même profession dans le même milieu, à savoir des maisons de repos, nous ne considérons pas pour autant ce groupe comme une population nécessairement homogène. Par exemple, elles pourraient être « trailing wives », à savoir qu’elles auraient migré en suivant leur mari ou appartenir à la catégorie « female autonomous migration » impliquant qu’elles auraient migré seule et avec l’idée que la migration leur offre des opportunités ainsi qu’une meilleure qualité de vie. Elles peuvent, ou non, être victime de déclassement.
Afin de récolter nos données, nous avons choisi d’organiser des entretiens individuels avec nos enquêtées. Nous avons considéré la mise en place d’entretiens collectifs afin d’observer les dynamiques internes au groupe mais, après avoir consulté nos enquêtées, il ressort que les entretiens individuels leur convenaient mieux. A titre d’exemple, nous pourrions poser les questions suivantes: « Considérez-vous que votre situation professionnelle actuelle soit meilleure que la précédente ? » ou encore « Quels sont les facteurs qui vous ont fait choisir ce métier? ».
Lors de ces entretiens, il nous faudra veiller à notre position particulière en tant que chercheur·ses. En effet, dans notre groupe, nous sommes deux femmes blanches européennes, un homme blanc européen ainsi que deux femmes noires proches des femmes enquêtées. Certain.es de nous pourraient apparaître « dominant.es », ceci à la fois dû à la position de pouvoir de l’enquêteur·ice qui « dirige » l’entretien et par notre privilège de personne blanche européenne sans passé migratoire; alors que deux d’entre nous, en raison de la confiance, pourraient se trouver dans une position de proximité affective et perdre un certain esprit critique. Chacun·e conscient·e de notre position et de ses effets, nous veillerons à ce que les entretiens se déroulent de la meilleure manière possible.