L'(es) armée(s) du web, nouvel outil indispensable pour la conquête du pouvoir ? – Billet individuel Sofian Bouchfira
L’année 2016 et les premiers mois de 2017 m’amènent à penser que nous sommes dans un moment politique clairement bouleversé par l’émergence et la captation de l’espace politique par le numérique. En effet si la figure du personnage politique persiste, la mobilisation de sa base partisane a profondément été métamorphosée. De même l’institutionnalisation des partis se voit confrontée à ces phénomènes.
Concrètement il m’est apparu que les officiels (des partis politiques) se retrouvent alors dépassés, doublés par ces discours, ces prises de positions que l’on rencontre sur le web et qui d’une manière ou d’une autre finissent par apparaître lors des meetings et autres rencontres partisanes. Ainsi je m’interroge sur la réciprocité qui existe entre ces deux phénomènes et je pense que la base partisane numérique nourrit et est nourrie par l’institution que représente le parti politique.
Tout d’abord le recul de l’adhésion partisane classique (cotisation-carte de membre)[1] semble paradoxal au regard de l’intérêt toujours important des citoyens pour la politique[2]. Dès lors il s’agit pour les dirigeants politiques de tout bord de formuler des propositions visant à « réenchanter la politique ». De fait il va falloir investir d’autres espaces, qui apparaissent comme nouveaux voire vierges, et dont les potentialités sont énormes. Toutefois ceci est une mauvaise interprétation de la structure du web qui est déjà politisée (blogs, réseaux sociaux, forums, institutions politiques, gouvernements, ONGs etc.). Ainsi se produit une rencontre entre un besoin d’affiliation de la structure politique et un besoin d’absorption du discours que véhicule ces « cyber-militants » politisés. On aperçoit ici aussi la difficile domination par la première des individus déjà positionnés dans le champ de la fachosphère web.
Ainsi pour ce qui concerne notre sujet sur l’émission de fausses informations prenant pour objet les migrants, on a pu s’apercevoir que celles si émergeaient lors d’un moment politique. En effet la France périphérique[3], celle qui est la moins bien connectée à la mondialisation ne peut se résoudre à voir ces flots de réfugiés comme acceptable, d’autant plus lorsque ceux-ci laissent entrevoir le risque de se retrouver en « minorité »[4] et conduit à l’exigence d’un « entre-soi majoritaire ». Cela se confirme à travers l’Europe comme le note Christophe Guilluy :« la question des dynamiques migratoires et des rapport minorité/majorité est le moteur de la montée des partis dits populistes partout en Europe »[5]. Les fantasmes qui en découlent « radicalisent » le discours politiques qui est lui-même encouragé par la volonté de « mise en tendances » de ces thèmes par l’intermédiaire du parti. Si certains internautes deviennent suffisamment influent, ils sont alors approchés par la cellule numérique de l’institution partisane.[6]
Les nombreuses élections au sein du monde occidental ont pu dresser un portrait de ces « armées » du web qui se rallient aux structures politiques d’extrême droites caractérisées comme populistes[7].
Avec notre enquête il s’agissait donc de savoir qui étaient ces individus qui investissaient les armées du web de l’extrême droite. Si on se focalise sur la France, plusieurs éléments de réponses peuvent apparaître notamment avec l’aide d’une littérature récente[8] complétées par des documentaires[9] ou les travaux de Christophe Guilluy[10] cités ci-dessus.
Enfin les campagnes électorales post-Obama apparaissent comme bouleversées par la post-vérité et cette dernière offre par ailleurs l’émergence de discours hétérodoxes qui une fois mobilisés par une institution politique peuvent renverser les sondages et les prévisions électorales. En outre ce sont ces armées du web, ces bases partisanes numériques qui sont l’objet de toute les attentions pour les politiques et qui permettent la connexion d’individus ( trolls)[11] isolés des métropoles mais qui représentent la majorité d’une population comme la France[12].
Sofian Bouchfira
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[1] Emilie Van Haute, Adhérer à un parti. Aux sources de la participation politique, Editions de l’Université de Bruxelles, 2009, 208p
[2] http://www.la-croix.com/France/Politique/Les-Francais-toujours-desir-politique-2016-05-23-1200762086
[3] Christophe Guilluy, La France périphérique – Comment on a sacrifié les classes populaires, Flammarion, 2014, 192p
[4] Ibid, p.147 « faire partie d’une minorité crée a minima une forme d’insécurité culturelle »
[5] Ibid, p.150
[6] http://abonnes.lemonde.fr/economie/article/2017/04/01/le-front-national-un-parti-en-quete-de-controle-sur-la-toile_5104295_3234.html
[7] http://www.politico.eu/article/marine-le-pens-internet-army-far-right-trolls-social-media/
http://info.arte.tv/fr/la-menace-populiste-en-europe-0
[8] Dominique Albertini & David Doucet, La Fachosphère – Comment l’extrême droite remporte la bataille du net, Flammarion, 336p (2016)
[9] Envoyé spécial – Front national : les hommes de l’ombre, Elise Lucet, France 2 Télévision, 16 mars 2017, 2h40
La Face cachée du Front National, Guy Lagache, C8, 15 mars 2017, 1h55
[10] Voir chapitre 5 – « De la bipolarisation à la question identitaire » dans Christophe Guilluy, La France périphérique – Comment on a sacrifié les classes populaires, Flammarion, 2014, 192p
[11] https://usbeketrica.com/article/les-trolls-participent-amplement-a-l-accroissement-de-la-post-verite
[11] Quatrième de couverture dans Christophe Guilluy, La France périphérique – Comment on a sacrifié les classes populaires, Flammarion, 2014, 192p