Billet Collectif – RESULTATS – Post-vérité et la couverture des attentats du 22 mars à Bruxelles
Dans le cadre de notre enquête concernant l’influence des émotions sur la population étudiante à l’ULB suite aux attentats du 22 mars à Bruxelles, nous avons choisi d’utiliser la méthode par questionnaire et l’analyse de discours. Nous avons donc distribué des questionnaires et analysé des articles de la presse écrite afin de tester notre hypothèse:« Les réseaux sociaux (Facebook) ont tendance à s’appuyer davantage sur les émotions dans la diffusion de l’information comparé aux médias classiques ».
Nous avons choisi la méthode probabiliste avec tirage aléatoire. De cette façon, nous avons obtenu les réponses de 21 étudiants et 25 étudiantes appartenant à diverses facultés. Par ailleurs, nous avons envoyé ces questionnaires par Facebook à travers la plateforme Google Forms.
Nous pouvons donc tirer diverses conclusions suite à l’analyse de ces questionnaires sans pour autant généraliser les réponses. Notamment, le rôle prédominant des réseaux sociaux en tant que premier informateur des faits pour les répondants. Cependant, l’actualité des évènements s’est déroulé autant par l’intermédiaire des réseaux sociaux que par la presse écrite. Au sujet de la pertinence des médias, la grande majorité des étudiants interrogés semble remettre en question les informations qui ont été diffusées. D’ailleurs, ce constat se reflète lorsque la population ciblée reconnaît que les réseaux sociaux et la presse écrite se sont appuyés sur d’autres aspects que les faits réels et objectifs pour diffuser leurs articles. On remarque également que les médias se sont appuyés sur les émotions en diffusant les articles mais qu’il y a une tendance plus marquée dans l’exploitation des émotions par les réseaux sociaux.
De manière générale, les répondants reconnaissent que la presse écrite et les réseaux sociaux ont joué un rôle dans la stigmatisation de la communauté musulmane. Cependant, un élément a attiré notre attention. En effet, si les répondants identifient clairement le rôle des réseaux sociaux, le lien est plus subtile quand on regarde l’avis exprimé par rapport à l’influence de la presse écrite. On peut relier ce dernier élément à notre hypothèse et à la manière dont les réseaux sociaux exploitent les émotions, notamment à travers l’utilisation d’algorithmes. Dans l’entretien exploratoire mené avec le professeur Jean-Jacques Jespers, le même constat apparaît : la presse n’a pas joué sur les émotions, ou du moins de manière involontaire. Au contraire, les réseaux sociaux ont engendré un mécanisme mobilisant les émotions pour toucher le plus grand nombre de personnes. Ainsi, les réseaux sociaux ont sélectionné l’information sous un certain angle, en concordance avec les préjugés de l’opinion publique. Par contre, la presse écrite a engendré une dynamique chez le lecteur qui déclenche assez fréquemment un lien entre la communauté musulmane et le terrorisme.
Un autre mécanisme intéressant qui émerge de l’analyse est lié au type d’émotions suscitées par la presse écrite et par les réseaux sociaux. Les répondants ont distingué le sentiment d’identification et la volonté de résister comme étant les deux émotions les plus suscitées par la presse écrite. Celles-ci peuvent être analysées comme représentant le fruit d’une réflexion aboutie sans être issues de réactions spontanées. Alors que les émotions suscitées par les réseaux sociaux, entre autres la colère, le nationalisme et la xénophobie, sont décidément plus liées à une réaction spontanée.
Nous pouvons donc affirmer que d’après les répondants, les réseaux sociaux ont eu une importance clé dans la diffusion d’un grand nombre d’informations privilégiant la quantité au détriment de la qualité, tandis que la presse écrite a diffusé des informations plus pertinentes.
C’est pourquoi nous avons également mené une analyse de discours qui se construit autour de la sélection de 65 articles de La Libre et de 159 articles du Soir datant du 22 mars 2016 à une semaine plus tard.
Nous avons effectué une analyse textométrique via le logiciel TXM qui nous a permis de cerner avec plus d’exactitude la récurrence et le contexte dans lequel les mots ciblés avaient été employés. Le but étant de savoir si les articles avaient particulièrement mobilisé les émotions du public par la diffusion de descriptions de scènes de crime, d’images chocs ou par la répétition systématique des mots ciblés et placés dans un contexte suscitant des émotions.
En ce qui concerne La Libre, les résultats révèlent que l’occurrence des mots est élevée mais que ceux-ci se concentrent sur un nombre réduit d’articles. Par exemple l’article intitulé«Réactions à Zaventem – Une dame coupée en deux, deux policiers avec les jambes broyées (VIDEOS) »[1], contient 50% de la fréquence des mots « jambes » et « sang ». C’est une classe spécifique d’articles qui recueille des témoignages de personnes qui étaient présentes sur les lieux des événements. Ceci est donc l’expression d’une tendance générale qui nous permet de conclure que, finalement, les mots que nous avons estimé être chargés en émotion, apparaissent dans un nombre réduit d’articles et ne sont pas systématiquement mobilisés si on prend en considération l’étendue du lexique total du corpus.
Pour ce qui est de l’analyse du Soir, nous avons pu constater que les mots que nous avions ciblés ne constituent qu’une faible occurrence sur l’ensemble du corpus. En allant plus en profondeur, nous nous sommes rendu compte que le contexte dans lequel les mots étaient utilisés ne suscitait que très rarement intentionnellement de l’émotion supplémentaire. Et cette émotion était souvent justifiée car issue de récits de témoins ou de victimes des attentats, qui ne pouvaient que relater les événements avec des mots poignants comme dans cette phrase « Je ne voulais pas que tu voies ces corps déchiquetés, ces chairs explosées »[2] parue dans l’article « Mes excuses : lettre à mon fils, à ma fille ». En effet, le sujet de notre recherche étant déjà un sujet sensible, il était normal de trouver des propos chargés en émotion, constatant donc que la presse écrite n’en a pas joué davantage. De plus, de nombreux articles dégageaient des messages d’apaisement, de solidarité, et de calme face aux émotions positives et négatives qui submergeaient la population comme en témoigne l’article Comment parler des attentats aux ados ? Leurs questions, nos réponses dans lequel les lecteurs pouvaient lire « Ces actions ne sont pas directement liées à l’islam dont les textes fondateurs condamnent le suicide et n’accordent pas le droit de tuer des innocents».
En conclusion, les méthodes que nous avons utilisées nous permettent de confirmer notre hypothèse. En effet, selon nos répondants, ce sont les réseaux sociaux qui ont le plus joué sur les émotions dans la diffusion de l’information. Ensuite, nous avons pu confirmer cette affirmation grâce à l’analyse de discours.
[1] BELGA AVEC PA.D., R.M. ET RÉDACTION EN LIGNE, « Réactions à Zaventem: Une dame coupée en deux, deux policiers avec les jambes broyées », La Libre, 22 mars 2016, http://www.lalibre.be/actu/belgique/reactions-a-zaventem-une-dame-coupee-en-deux-deux-policiers-avec-les-jambes-broyees-videos-56f0ffff35702a22d59d46cc, (page consultée le 21 avril 2017).
[2] DELVAUX, Béatrice, « Mes excuses: lettre à mon fils, à ma fille », Le Soir, 23 mars 2016, http://www.lesoir.be/1159825/article/debats/2016-03-23/mes-excuses-lettre-mon-fils-ma-fille, (page consultée le 20 avril 2017).
Margherita Via, Yasmina Heuchamps, Islay Akhaloui, Pedro Rodrigues Magalhaes