Résultats – Les discours politiques post-attentats: peur explicite, conséquences implicites ?

Résultats – Les discours politiques post-attentats: peur explicite, conséquences implicites ?

La partie finale de notre recherche intitulée « Les discours politiques post-attentats – peur explicite, conséquences implicites ? » nous a apporté une variété de résultats assez inattendus au départ. Ceux-ci concernent la conclusion des analyses des discours de Charles Michel et Jan Jambon dans le contexte des attentats à Bruxelles, le 22 mars 2016.

Pendant ces trois derniers mois, nous avons regroupé des communiqués officiels, des discours donnés à la Chambre de représentation et des extraits des déclarations qui ont été reproduits par la presse écrite, constituant un grand ensemble mis en évaluation par chaque membre de notre groupe séparément, pour ensuite les échanger et discuter entre nous. Les résultats finaux sont, donc, la somme des éléments mis en exergue grâce au logiciel utilisé pour la lexicométrie (TXM) et l’interaction des participants pour discuter des résultats préliminaires.

 

Les hypothèses mobilisées étaient:

  1. 1 – Il y a eu une évolution, notamment une augmentation, en ce qui concerne le recours à la peur lors des discours de Charles Michel et Jan Jambon après les attentats à Bruxelles en Mars 2016.
  2. La mobilisation de la peur a été utilisée par ces deux acteurs comme une stratégie de légitimation des mesures restrictives de libertés individuelles prises après Mars 2016. Ex : la suppression de l’anonymat des cartes prépayées.

 

La première observation que nous avons faite est que les discours proférés étant assez descriptifs, très peu d’espace a été donné pour la mobilisation stratégique de la peur ou de l’insécurité. La construction de ce genre de sensation dans la population, potentiellement, ne se basait pas de façon stricte sur le vocabulaire directement associé à l’action terroriste et l’appel à l’image des ataques.

De tels résultats s’observent même dans le cas des communiqués de presse, des textes plus longs et en dehors de la Chambre, qui avaient un caractère très descriptif concernant les attaques, malgré la présence de termes comme ‘victimes’, ‘terroriste’, et ‘attentats’. En d’autres mots, les phrases où ces termes apparaissent ne cherchaient pas nécessairement à qualifier ou redéfinir tout de suite les événements  du 22 mars en promouvant l’insécurité ou la haine.

En général, les mesures de sécurité avant le 22 mars sont justifiées par les attentats de Paris en novembre 2015, commis par des citoyens belges. À ce moment, ce sont des mesures contre la « radicalisation », et des menaces hypothétiques, motif pour lequel «contrôle » est répété par Jan Jambon dans plusieurs déclarations et « niveau 3 » est aussi un terme présent. Après les attentats, les mesures sont justifiées par les attaques dont a souffert Bruxelles, pour contrôler le transit de réfugiés et pour combattre l’extrémisme/radicalisme.

Le contexte avant le 22 mars montre un ensemble de discours apportant la confiance sur les mesures prises, ainsi que la valorisation de la préparation et de la capacité technique des forces de sécurité belges. Dans les extraits des médias, cela apparait encore plus évident par la façon positive par laquelle Charles Michel décrit l’action policière lors des arrestations à Forest. Il ajoute aussi un mélange de l’efficacité et un certain hasard par la phrase ‘nous avons eu de la chance (…) cela aurait pu être un drame’.

Des exemples plus explicites de construction de scénarios évoquant la peur sont réalisés – après les attentats – par Jan Jambon, qui lors d’au moins deux occasions a notamment fait usage de suppositions difficilement confirmées pour soutenir ses décisions en tant que ministre : «On peut plutôt envisager l’usage d’une bombe sale avec des matériaux radioactifs volés dans un hôpital » lors une session à la Chambre ;  « une partie significative de la communauté musulmane a dansé à l’occasion des attentats », dans un entretien au journal flamand Standaard, extrait reproduit par les médias analysés.

Les liens entre la question sécuritaire et d’autres thèmes sont devenus très évidents après les attentats. Excepté la discussion autour de la laïcité et la migration, évoqués en association à la sécurité, le vocabulaire associé aux finances apparait aussi en deuxième plan dans les citations faites par les médias, élément auquel on ne s’attendait pas.

Un autre thème figurant constamment en association avec le terrorisme est celui de la tolérance religieuse, notamment par rapport à la communauté musulmane face au risque de construction d’une image négative autour d’elle. Un ton héroïque a été attribué aux policiers, mettant en valeur les mesures sécuritaires et le niveau de préparation face à une attaque. De l’autre côté, le « vilain » de cette narration a dû être caractérisé de façon moins claire – pas centré sur ses caractéristiques personnelles ou des stéréotypes – vu ce danger d’un conflit interne contre une grosse partie de la population. L’association entre ‘Belgique’ et ‘victime’ n’a pas été spécialement évoquée non plus. Le risque de perte est plutôt mentionné par rapport aux valeurs démocratiques.

En général, la construction d’une rhétorique autour de la peur s’est montrée très subtile et moins fréquente que l’attendu du groupe le groupe face à l’ensemble et la proportion de mesures sécuritaires prises pendant le contexte analysé. Le terme le plus répété parmi la plupart des discours était « Nous », soit comme une forme de rassemblement avec la population, soit pour démontrer l’engagement d’un organe du gouvernement ainsi personnifié. Ce pronom était d’ailleurs suivi par des formes verbales comme « avons fait » et « devons », exprimant respectivement l’explication des mesures prises, et l’évaluation de ce qu’il manquait comme action afin de prévenir les attaques, malgré le niveau de préparation de la Belgique réaffirmé.

En conclusion, nos résultats montrent une confirmation partielle des hypothèses préalablement mobilisées. La transmission de peur est présente lors des discours, mais de manière très implicite. La peur comme motivateur de mesures politiques est un outil assez délicat, capable de détourner soit vers le chaos, soit au discrédit. Si le jeu autour de son usage s’est fait présent, c’est qu’il a été fréquemment associé avec d’autres sentiments (l’espoir, l’optimisme, le deuil). En même temps, notre réflexion finale est que l’appel constant au calme et les déclarations peu détaillées semblent provoquer un certain effet inverse, d’insécurité et acceptation d’un ensemble de mesures qualifiées de « nécessaires ».

Bruna Hoffreumon, Ana Luíza de Sabóia M., Victor Vanderhoeven

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