Billet collectif Groupe 9_ Résultats : Le Français d’Uccle est-il vraiment celui qu’on croit ?

Billet collectif Groupe 9_ Résultats : Le Français d’Uccle est-il vraiment celui qu’on croit ?

Le Français d’Uccle est-il vraiment celui qu’on croit ?

La question avait de quoi susciter l’interêt tant la communauté française est volontiers décrite par les Bruxellois comme repliée sur elle-même à Uccle, une commune parfois qualifiée de « XXIème arrondissement de Paris ». Nous avions ainsi choisi de questionner ce jugement péremptoire en partant de l’hypothèse d’un communautarisme véhiculé par le lycée français, pivot d’une communauté ‘hors sol’.

Le lycée français est-il un lieu de communautarisme, soit tenant d’ « un projet sociopolitique visant à soumettre les membres d’un groupe défini aux normes supposées propres à ce groupe, à telle communauté, bref à contrôler les opinions, les croyances, les comportements de ceux qui appartiennent en principe à cette communauté », selon la définition du communautarisme de P.-A. Taguieff (1)?

Les informations recueillies par nos soins réfutent sans ambiguïté cette hypothèse.

Une composition sociale attendue

Nous ne sommes pas parvenus au seuil de 148 questionnaires nous permettant d’obtenir une fiabilité maximum. Pour autant, les 80 questionnaires de 23 questions remplis par les élèves donnent une idée assez tranchée de la situation.

D’emblée, ces questionnaires confirment que nous sommes bien face à la population que nous souhaitions étudier: des jeunes Français Ucclois ‘bien nés’, appartenant aux familles de la classe supérieure souvent décriée. On dénombre ainsi parmi les pères des élèves interrogés 73% de cadres. A noter aussi que 38% des mères sont aux foyer, première catégorie devant les cadres (32%) et semble indiquer une organisation familiale demeurant relativement patriarcale.

Autre élément intéressant et lui aussi attendu: la grande majorité des familles des élèves ne sont pas installées à Bruxelles par choix personnel. L’installation est liée dans plus de 70% des cas à la profession des parents (26% liée à une fonction européenne et 52% à un travail dans une multinationale).

Des enfants dont les parents sont issus des catégories socio-professionnelles supérieures et une installation majoritairement subie à Bruxelles: le début du cliché sur la communauté française d’Uccle semble jusque-là se vérifier.

L’hypothèse du communautarisme écartée

Ces questionnaires décrivent pourtant une communauté qui se sent (subjectivement) bien intégrée en Belgique (un indice de 7,5 sur 10 en moyenne). Un sentiment d’intégration dépendant toutefois du temps depuis lequel les familles des élèves sont établies en Belgique. Les élèves en Belgique depuis moins de 5 ans se sentent ainsi 1,75 fois moins intégrés que les autres (2). Autre facteur important: la profession des parents. Les enfants de fonctionnaires européens, soit 26% des interrogés, se sentent ainsi significativement plus intégrés que les autres. 

L’ancrage des élèves sur le territoire belge est corroboré plus objectivement par la fréquence des activités extra scolaires avec des Belges (70% des élèves interrogés participent au moins une fois par semaine à des activités avec des Belges). Plus d’un élève sur cinq envisage même d’obtenir la nationalité belge, signe d’une volonté des jeunes français de parfaire leur intégration.

Ceux qui ne l’envisagent pas témoignent souvent d’une vision utilitariste de la nationalité (l’obtenir ne leur serait, de fait, pas utile), vision qui ne remet pas en question leur attachement à la Belgique puisque 45% des répondants citent ainsi l’accueil et la sympathie des Belges comme un avantage du pays.

Les entretiens réalisés tant avec les élèves qu’avec la chargée de communication du lycée, Mme Beuscart, font état, en outre, de la présence significative d’élèves belges au lycée français. Ceux-ci seraient intégrés de manière « homogène » selon Mme Beuscart, « sans aucun problème » d’après Hugo, un des élèves interviewés. Ismael, élève de Terminale, estime quant à lui que les Belges du lycée représentent « 10 à 20% » de l’ensemble de l’effectif, pour 60% de Français et 20% de ressortissants d’autres Etats.

La chargée de communication cite enfin « de nombreuses collaborations avec des établissements belges et bruxellois, en sport, lettres, langues, histoire-géographie… » permettant de « connecter les élèves avec le territoire ». Ismael cite par exemple le Rhéto Trophée, une épreuve de sport réservée aux élèves de dernière année de l’enseignement secondaire, pour laquelle le lycée français est en compétition avec des écoles belges.

L’inclusivité des élèves belges, l’ancrage local du lycée et de ses élèves, le bon sentiment d’intégration des français et l’attachement qu’il expriment pour la Belgique et les Belges sont autant d’indices réfutant l’hypothèse du communautarisme. 

Le lycée français n’apparaît finalement pas comme tenant d’un communautarisme, selon la définition de P.-A. Taguieff. En outre, les jeunes français du lycée ne semblent en aucun cas repliés sur leur identités, comme le montre la suite des résultats.

Multiculturalisme et envie d’ailleurs

L’établissement ne peut ainsi pas être qualifié de ‘hors sol’ mais plutôt de multiculturel, tant il véhicule une identification multiple. Les répondants évoquent certes leur identité française à 70% en 1ère place dans le ‘classement des identités’ que nous leur proposons dans le questionnaire (paradoxe: les plus attachés à la France sont ceux… qui n’y ont pas vécu). Ils citent néanmoins volontiers des identifications diverses, locales (bruxelloise, uccloise), ou Belge, mais aussi Européenne.

Une ouverture vers d’autres cultures confirmée par Hugo: « on voit différentes nationalités, différentes vision des choses, du coup on apprend des autres ». « J’ai développé une identité européenne, et surtout une identité belge » atteste Ismael, au lycée depuis 7 ans, qui soutiendra la Belgique pour la prochaine Coupe du Monde de football.

Si les Français du lycée ne sont définitivement pas des Belges comme les autres (seulement 11,5% d’entre eux apprennent le néerlandais, et ils utilisent rarement les médias belges), ils se voient comme une population peu stigmatisée (indice de 4 en moyenne sur une échelle de 0 à 10) et peu stigmatisante (3,8/10). 

Ils semblent heureux en Belgique, un pays que 80% d’entre eux souhaitent toutefois quitter pour leurs études supérieures. « Pour voir autre chose », précise Hugo.

Au delà des caricatures

Notre étude met donc à mal la vision caricaturale souvent véhiculée sur les français d’Uccle. Si les répondants constituent une population à part, issue des classes supérieures, habituée à voyager et fière de son identité française, l’étude les fait apparaître comme une population ouverte sur d’autres cultures et ancrée dans son territoire.

Nous regrettons toutefois de ne pas être parvenus à donner une dimension comparative à notre étude en échouant à obtenir des informations des écoles belges d’Uccle, ce qui nous a empêché d’isoler le rôle de l’établissement comme lieu de socialisation. Enfin, il eut été intéressant de recueillir des points de vue différents grâce à des entretiens complémentaires pour étudier plus en profondeur le rapport des élèves à leur environnement.

Rosita Courtot, Edwige Huant, Elias Louz, Mathieu Solal

 

 

 

(1)   » « communautarisme » : vrai concept et faux problèmes « , colloque organisé par le Groupe d’études et d’observation de la démocratie (Géode, université de Paris-X-Nanterre) et le Centre de recherches politiques de Sciences po (Cevipof), sous la direction de G. Delannoi, P.-A. Taguieff et S. Trigano, à l’IEPP, le 5 février 2004

(2)  variable à *, R2 0,615967, R2 ajusté 0,364868

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