[Groupe 13] Billet Collectif – L’influence du capital culturel sur les formes de militantisme

[Groupe 13] Billet Collectif – L’influence du capital culturel sur les formes de militantisme

Notre enquête de terrain portera sur le rapport entre inégalités culturelles et formes de militantisme. L’idée de ce sujet nous est venue de l’ouvrage « Le Cens caché : inégalités culturelles et ségrégation politique » de Daniel Gaxiei. Cet auteur est un professeur de sciences politiques à la Sorbonne et le directeur du Centre de recherches politiques de cette universitéii.  

Son étude porte sur la politisation. Par là, l’auteur entend l’« attention accordée au fonctionnement du champ politique»iii. Cette politisation est variable puisqu’elle dépend du « degré » d’implication des uns et des autresiv. Selon l’auteur, la capacité de politisation n’est pas seulement liée au niveau scolaire mais s’explique par une combinaison d’éléments dont l’âge, le sexe, et plus faiblement, le milieu socialvCependant, il ne faut pas croire que Daniel Gaxie affirme une absence de politique dans les classes défavorisées. Son propos consiste plutôt à dire que la politisation est inhérente à toute organisation. Seulement, chaque classe, en fonction de ses dispositions, manifestera cela de façon propre et l’une sera plus visible que l’autre. En ce sens, Bourdieu évoque la notion de capital culturel qu’il qualifie de valeur sociale différentielle. C’est un capital qui joue un rôle important dans la reproduction des classes sociales et dans la reproduction des inégalitésvi. Le capital culturel, lui non plus, ne se limite pas au titre scolaire mais inclus également des éléments non-scolaires, comme la capacité linguistique, le savoir-faire relationnel ou des éléments matériels comme l’acquisition d’œuvres d’arts, de livresvii

Dans notre recherche, nous nous distançons un peu de la thèse de Gaxie et de Bourdieu en évoquant des modes de militantisme. Si ceci peut paraitre un peu abstrait, voici quelques éléments de définition. Le militantisme est l’activité, l’attitude d’un militant dans le domaine politique, syndical, associatif,… C’est le fait de lutter pour une cause, une idéologie, un parti,…viii. Le militantisme se dévoile sous plusieurs formes. Parmi elles, la sphère institutionnelle comprend essentiellement les professionnels de la politique. Quant à la sphère non-institutionnelle, elle regroupe toutes les formes de politisation des individus ordinaires que ce soit «les arts de la rue»ix, «la politique par le bas»x ou la «Streets politics»xi

De plus, partant du constat que cela fait maintenant 43 ans que l’étude de Daniel Gaxie a été réalisée, nous nous sommes demandé, si les conclusions dressées par Daniel Gaxie en 1978 étaient encore vraies aujourd’hui. En effet, en 43 ans, le contexte a bien changé. L’essor d’internetxii, la mobilisation de la « société civile »xiii, le déclin des grandes idéologies et la baisse de l’audience des partis politiquesxiv sont des exemples de facteurs qui pourraient modifier les conclusions de l’auteur.  

Le fait de se concentrer sur les différentes formes de militantisme ainsi que le décalage temporel entre les conclusions de Daniel Gaxie et l’année 2021 durant laquelle nous réalisons notre enquête fait tout l’intérêt de notre recherche. En effet, il serait intéressant de pouvoir se distancer ou de venir réaffirmer la thèse selon laquelle les différents degrés de compétence politique varient selon la classe sociale ou, plus spécifiquement, le niveau d’instruction et le capital culturel. Notre question de recherche se formule de la manière suivante : en quoi est-ce que le choix du mode d’action politique/militantisme peut-il être symptomatique d’inégalités culturelles ? 

Au vu des différents éléments que nous venons de vous présenter, notre hypothèse est celle-ci : l’étude de Daniel Gaxie est toujours vraie aujourd’hui. C’est-à-dire qu’il existe bel et bien une tendance selon laquelle les personnes possédant un capital culturel moins élevé choisissent une forme de militantisme non institutionnelle. Au contraire, les personnes ayant un capital culturel plus élevé se dirigeraient plus facilement vers une forme de militantisme institutionnelle. Notre approche théorique sera donc constructiviste. En effet, notre travail s’inscrit tout à fait dans ce courant en ce qu’il souligne à la fois la construction sociale des identités des acteurs et « l’importance de l’identité dans la constitution des intérêts et des actions »xv.  

En vue d’infirmer ou de confirmer cette supposition, nous comptons réaliser des entretiens semi-directifs. Dans un souci d’isoler un peu plus la variable “capital culturel”, nous avons choisi de délimiter les entretiens aux personnes ayant milité pour le mouvement des gilets jaunes en France. Nous mènerons les entretiens auprès de membres du parti politique de la France Insoumise, l’association “La résistance Voix Jaune”, et des mouvements de “streets politics”. Pour chaque forme de militantisme nous interrogerons au minimum deux membres, la personne se rapprochant le plus du sommet de la hiérarchie et une personne un peu plus éloignée du sommet de la hiérarchie. Cette méthode s’impose d’elle-même dans la mesure où l’avis, les ressentis et la motivation des individus confrontés à des situations concrètes constituent une source de première main. Notre but étant d’éclairer le rapport qui existe entre les inégalités culturelles et le mode de militantisme, aller directement interroger les acteurs de la situation nous permettrait de découvrir la manière dont ils expliquent cette situation et la vivent. De plus, la nature du sujet ainsi que sa dimension empirique et concrète, mènent à penser que la discussion avec les principaux concernés permet d’envisager de nombreux axes de réflexions. Ce serait moins le cas si, pour un tel travail, nous avions fait le choix de lire des auteurs qui ont écrit sur la question avec un point de vue orienté et une sélection de ce qui leur semblaient important. N’ayant pas la même sensibilité, l’interview nous donne la possibilité prônée par Gaxie pour investiguer le sujet dans bien d’autres directions. In fine, notons que l’un des aspects importants des entretiens semi-directifs est celui de nous protéger de l’influence d’une certaine approche doctrinale et des multiples gloses qui nous éloignent chaque fois un peu plus de l’information première.  

Références :

(i) D. GAXIE, Le Cens caché : inégalités culturelles et ségrégation politique, Le seuil, Paris, 1978.
(ii) « Gaxie Daniel », site de l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, https://www.pantheonsorbonne.fr/fr/unites-de-recherche/crps/membres/chercheurs-et-enseignants-chercheurs-titulaires/gaxie-daniel/ (page consultée le jeudi 11 mars 2020).
(iii) D. GAXIE, op. cit., p. 240.
(iv) D. GAXIE, op. cit., p. 240.
(v) D. GAXIE, op. cit., p. 240.
(vi) P. CHAMPAGNE, « Capital », dans P. Champagne et O. Christin (dir.), Pierre Bourdieu : Une initiation, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 2012, p. 93 à 146.
(vii)P. BOURDIEU, « Les trois états du capital culturel », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 30, novembre 1979, p. 3 à 6.
(viii) « Militantisme », site de la Toupie, http://www.toupie.org/Dictionnaire/Militantisme.htm (page consultée le lundi 15 mars 2020).
(ix)P. HAENNI, L’ordre des caïds. Conjurer la dissidence urbaine au Caire, Paris/Le Caire, Karthala/CEDEJ, 2005.
(x) J.-F. BAYART, A. MBEMBE et C. TOULABOR, Le politique par le bas en Afrique noire. Contributions à une problématique de la démocratie, Paris, Karthala, 1992.
(xi) A. BAYAT, Street Politics : Poor People Movements in Iran, New York, Columbia University Press, 1997.
(xii) E. KRZATALA-JAWORSKA, « Internet : Complément ou Alternative à la Démocratie Représentative? », Participations, vol. 1, n°2, 2012, p. 188.
(xiii) S. LEFÈVRE, « Un nouveau cens caché », Les mobilisations sociales à l’heure du précariat, D. Chabanet et al. (dir.), Presses de l’EHESP, Rennes, 2011.
(xiv) E. COMTAT, Les pieds-noirs et la politique : quarante ans après le retour, Presses de Science Po, 2009, p. 161.
(xv) D. BATTISTELLA, Théories des relations internationales, 4e éd., Paris, Presses de Sciences Po, 2012, p. 330.

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