Réflexion sur l’usage et les répercussions probables de l’évocation des thèses complotistes par les politiques français dans les médias en période électorale.- Billet de Mélissande Boyer
L’écriture de ce billet tombe en pleine période électorale française dont les enjeux multiples se voient pimentés de thèses complotistes dans la bouche des candidats eux-mêmes.
Actuellement dans l’entre-deux tours, cette élection inédite vient de voir l’élimination d’au moins deux candidats dont il est possible d’assimiler les propos à des thèses complotistes, notamment Jacques Cheminade (0,18% au premier tour) et François Asselineau (1%). De fait, le premier martèle qu’il ne suffit pas d’ouvrir le débat mais aussi « de reprendre ce qui nous a été pris, à savoir le pouvoir ! ».
Mais si le pouvoir n’est plus aux hommes, à qui est-il alors ? Le second, Asselineau, candidat du « Frexit » et antiaméricanisme affirmé, dénonce un complot des grandes puissances via la CIA et cible une « islamisation de la société » : « La France est un pays satellite des États-Unis comme la Pologne était un État satellite de l’Union soviétique » (sur LCI). De plus, « les États-Unis complotent dans le dos des nations pour façonner le monde à leur image ». Et cela vaut pour à peu près tous les sujets. Le terrorisme islamiste ? Pure création américaine. L’institut de sondages Harris Interactive ? Aux ordres du FBI. Le Front national ? Financé par la CIA. François Asselineau y est prêt et se dit capable de citer « une quantité de preuves historiques pour démontrer que l’Union européenne est un projet américain ».
Que ces thèses soient portées par des « petits candidats », soit, mais que le candidat de la droite François Fillon, l’un des grands favoris de ce premier tour et crédité de 20% des intentions de vote par les sondages (IFOP), s’y prête aussi alors qu’il dénonce les prétendus agissements secrets d’un « cabinet noir à l’Elysée » et que « les masques tombent, la machination est maintenant aux yeux de tous les Français » (France Info) laisse songeur et me pousse à me questionner sur le parti pris fondamental de notre enquête.
De fait, nous interrogeant sur la perception de ces thèses complotistes par les jeunes (15-20 ans), nous prenons pour angle la remise en cause de la légitimité et de la responsabilité des media dans un contexte d’hystérisation des débats et d’Etat d’urgence du à la menace terroriste.
La responsabilité ne serait-est-elle pas toutefois imputable aux politiques eux-mêmes dans la mesure où, par le biais des médias traditionaux (presse écrite, journaux télévisés, radio du service publique, communiqués de presse, etc..) ils profitent de la seule parole audible par l’ensemble des citoyens, au-delà de tout clivage communautaire ? L’un des points que nous cherchions à éclaircir par notre enquête était celui de déterminer si une classe sociale, communautaire ou non de personnes plus susceptibles d’être sensibles à ces discours existait.
Cela ne semble pas être le cas à l’état d’avancement de notre enquête. Il ne me paraît donc pas prématuré d’avancer l’hypothèse selon laquelle notre cadre d’étude, une période post-attentats du Bataclan et de Maelbeek, ne serait pas si pertinent dans la mesure où l’adhésion à des théories complotistes ne seraient pas liées à un réel sentiment d’insécurité et d’ignorance, la rapidité et la clarté des revendication de l’Etat Islamique des attentats par son agence de presse Amaq ne laissent planer aucun doute, mais davantage à un rejet du « système » médiatique et politique dans son ensemble. Ces derniers sont en effet très liés, indissociables dans l’imaginaire, mais semblent se dénoncer eux-mêmes (voir les invectives de la candidate Le Pen contre le système médiatico-politique) et il y a serpent qui se mord la queue. L’adhésion des jeunes à ces thèses pourrait donc être corrélée et se mesurer à l’aune de la fréquence de ces discours dans les médias dans le sens où c’est encore à cet endroit qu’ils sont les plus visibles et audible. Cette hypothèse rejette d’emblée la théorie selon laquelle les sites complotistes aient une portée significative sur l’opinion des jeunes qui n’y seraient pas déjà sensibles.
Concluons avec cette citation de Rudy Reichstadt, fondateur du site Conspiracy Watch à l’entène de France Info à propos de François Asselineau « Je ne pense pas qu’il soit dingue, mais qu’il utilise le complotisme parce qu’il a compris que c’est ce qui marche sur internet ».
Mélissande Boyer
A lire et à voir :
http://www.huffingtonpost.fr/2017/03/10/avec-francois-asselineau-les-conspirationnistes-ont-leur-candid/
Lordon – « Syndrome d’une dépossession » – https://www.monde-diplomatique.fr/2015/06/LORDON/53070
Video de Spicee par Thomas Huchon : « Attentats, la théorie du complot » – https://www.spicee.com/fr/register-free
France Culture https://www.franceculture.fr/emissions/petit-precis-de-philosophie-lusage-des-candidats/fillon-asselineau-cheminade-face-spinoza