(Groupe 10) Billet individuel – Alice Auxenfants

(Groupe 10) Billet individuel – Alice Auxenfants

« In an interview, what you already know is as important as what you want to know. What you want to know determines which questions you will ask. What you already know will determine how you ask them »

Comme l’explique dès les premières lignes Beth L. Leech dans Asking Questions : Techniques for Semistructured Interviews (2002), les connaissances que nous possédions au moment de choisir notre sujet ont déterminé nos questions d’entretiens ainsi que de notre façon de les mener. Notre enquête porte sur les habitudes et les choix de consommation des Bruxellois au regard de leur revenu et de leur sensibilité face aux questions environnementales. Faire ces courses est une pratique qui peut rapidement devenir problématique : revenus, prix des produits, horaires et accessibilité des magasins, mode de production. Ces questions ne nous sont pas étrangères en tant qu’enquêteurs vivant à Bruxelles, mais également en tant que consommateur. C’est pourquoi la question de l’impératif de neutralité1 au sein des enquêtes de terrain a rapidement émergé. Comment étudier objectivement un comportement que nous pratiquons également ? Jean-Baptiste Legavre expliquait déjà en 1996 les difficultés de se détacher de l’illusion de neutralité notamment à cause du manque de littérature autour de la méthode des entretiens. Il citait d’ailleurs Duchesne : « En théorie […], l’enquêteur neutralise sa personnalité pour ne plus être que le reflet de celui qui lui parle2 ».

L’état de l’art a depuis beaucoup évolué et s’est éloigné des « figures de l’excellence académique que sont l’empathie ou la neutralité3 » comme le souligne Demazière en 2012. Ainsi de prime abord la collecte des données auprès de nos enquêtés nous semblait être facile : faire ses courses est un usage qui touche toutes les couches de la société. Nous n’avions pas pensé que la distance sociale avec les interrogés joueraient un rôle aussi important. C’est pourquoi après notre premier entretien semi-directif nous avons dû revoir notre méthode. Nos propres habitudes de consommation et l’apparente simplicité du sujet ont faussé nos résultats. En affinant nos questions et en décortiquant nos a priori sur le type de réponses que nous pensions obtenir, nous nous sommes éloignés de la méthode quantitative. Ainsi, nos entretiens ne seront plus de courtes entrevues de cinq minutes, mais d’une demi-heure avec un large panel de questions et de sous- questionnements. Bien entendu le premier entretien nous a apporté des éléments nouveaux, tel que le choix de consommer pour raison dites ‘culturelle’, ce qui nous a poussé à conserver notre choix des entretiens semi-directifs.

   In fine, le concept de neutralité dépeint tantôt comme un impératif tantôt comme un inaccessible a été central pour l’évolution de notre enquête. Par le choix d’un sujet qui nous semblait « neutre », car accessible à tous, nous avons appris à revoir notre rôle d’enquêteur et le fondement même de notre questionnement.

1 Mauger G., Enquêter en milieu populaire, Genèses, Sciences sociales et histoire, 1991, 6, pp. 125-143

2 Duchesne (S.), Citoyenneté à la française…, op. cit. p.76

3 D. Demazière, L’entretien de recherche et ses conditions de réalisation, Variétés des sujets enquêtés et des objets de l’enquête. Sur le journalisme, 2012, 1 (1), p. 36

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