La création d’une identité collective au sein des hébergeurs de la plateforme d’hébergement citoyen – Présentation des résultats [billet collectif n°2]
A travers notre enquête, nous avons tenté d’analyser la corrélation entre le phénomène migratoire et la création d’une identité collective au sein du groupe Facebook « Hébergement plateforme citoyenne ». Afin de définir le concept d’identité collective, nous nous sommes appuyés sur la littérature existante et plus précisément sur les théories d’Alberto Melluci, sociologue italien, et de Jacques Ion, sociologue français.
Aux prémisses de notre recherche, on constate que la littérature a beaucoup évolué dans le courant du XXe siècle. Avant les années 2000, les auteurs, tels qu’Alberto Melucci, considéraient les mouvements sociaux comme répondant davantage à une vision collective. Cet auteur définit alors l’identité collective comme un processus en trois axes. Dans un premier temps, l’auteur s’intéresse aux moyens mis en place pour arriver à la création d’un mouvement. Il explique que les membres sont en majorité en adéquation avec la prise de décision, les modes d’organisation et de répartition des tâches au sein du groupe. Dans un second temps, il explique les relations entre les membres d’un groupe, leurs interactions, leurs méthodes de communications. Finalement, Melucci se concentre davantage sur l’engagement émotionnel des militants. Il parle de valeurs que ces derniers partagent entre eux et qui leur permettent de développer un sentiment d’appartenance au sein d’un collectif. [1]
L’apparition de nouvelles formes d’engagement par la création de nouveaux mouvements sociaux s’est opérée dans le courant des années 2000. En cause de ce changement, le développement économique et l’importance de l’internet qui se développe de plus en plus rapidement. C’est dans ce cadre spatio-temporel, avec l’apparition d’un monde virtuel et le développement, notamment, des réseaux sociaux, que Jacques Ion apporte une nouvelle définition de l’engagement militant: celui du militant « post-it » ou « à la carte ». Le développement de nouvelles technologies individualise considérablement l’individu. Selon l’auteur, l’identité collective n’est plus aussi présente qu’auparavant. L’individualisme de nos sociétés modernes domine l’engagement et diminue la formation d’identité de groupes. Les acteurs placent la solution d’une situation au premier plan. L’action doit être réalisée de manière réactive et efficace. [2]
À partir de ces deux auteurs, nous avons tenté d’analyser les données récoltées lors de nos entretiens pour tenter, in fine, de répondre à notre question de recherche: « Le phénomène migratoire a-t-il favorisé la création d’une identité collective au sein des hébergeurs bruxellois membres du groupe Facebook « Hébergement plateforme citoyenne » ? ».
D’après Melucci, l’identité collective se définit en trois axes. Lors de nos entretiens, nous avons cependant uniquement pu conclure à la présence du premier axe. Les hébergeurs sont, en effet, en accord avec la prise de décisions et approuvent le mode d’organisation du groupe. Chacun était en accord avec l’utilisation du réseau social Facebook comme moyen d’organisation. Huzaïfa explique: « Je ne vois pas quelle autre plateforme pourrait être aussi facile d’accès. […] Tu as l’information en direct, tu sais s’il reste des personnes et tu sais qui va les emmener. » De plus, les enquêtés sont généralement en accord avec l’action des administrateurs. Barbara partage: « Je trouve que Medhi, Adriana et les autres font beaucoup de boulot. […] je trouve qu’avec les moyens qu’ils ont, ils s’en occupent déjà pas mal. » Les deux derniers axes du processus sont, quant à eux, peu présents ou incomplets.
La création d’un lien social, deuxième axe, ne constitue pas un objectif en soi. Les hébergeurs ne cherchent pas à tisser des liens entre eux. Anne affirme: « Je ne cherche pas particulièrement à échanger. J’ai rencontré des gens […] comme [ceux] que j’ai hébergé ». Barbara précise: « À part, les gens que je connais déjà, je n’en connais pas forcément […] puisqu’en hébergeant, tu n’as pas vraiment l’occasion de rencontrer d’autres gens de la plateforme, c’est plus par message que tu parles […] donc je n’ai pas vraiment eu l’occasion de les rencontrer. » Les hébergeurs précisent qu’un lien émotionnel fort les lie avec leurs hôtes, nommés « amigrants » (contraction d’amis et de migrants) par Janique. En définitive, si le lien affectif entre hébergeurs et hébergé est bien présent, entre hébergeurs, ce lien n’est pas recherché ni favorisé.
Concernant le troisième axe, les valeurs partagées et l’importance de l’émotionnel, nous avons constaté que, dans la plupart des cas, les hébergeurs sont indifférents vis-à-vis des messages postés sur la plateforme et ne s’y identifient pas: « Moi je ne suis pas du tout bisounours, petit cœur et c’est chouette l’échange » (Anne). Cependant, beaucoup de membres affirment qu’ils agissent ensemble sur un socle de valeurs communes. Les valeurs partagées sont principalement l’entraide, la solidarité et les droits de l’homme. Enfin, tous hébergeurs rencontrés cherchaient à combler les défaillances politiques.
Suivant le processus d’identité collective en trois axes de Melucci, nous ne pouvons conclure à la construction d’une identité collective au sein des hébergeurs puisque seul le premier axe est rempli. À partir de ce constat, nous avons tenté d’appliquer la théorie du militantisme pragmatique de Jacques Ion. Dans celui-ci, les militants placent l’action au premier plan. Ils sont face à une situation d’urgence où la seule solution est l’action. Les militants pragmatiques veulent du concret et leurs principales préoccupations sont l’urgence, l’efficacité et la radicalité. Plusieurs entretiens illustrent ce propos: Anne dit « C’est juste le sentiment de faire ce qui doit être fait au moment où cela doit être fait. ». Cette réaction résulte d’un sentiment d’incompétence des pouvoirs publics et politiques qui ne seraient plus aptes à gérer les problèmes actuels. Barbara partage cet avis : « je trouvais que c’était quelque chose à faire. C’est ça ou bien personne ne le faisait ».
Enfin, pour Jacques Ion, l’adhésion ne se fait plus de façon formelle et de façon unique. Il parle d’une adhésion « à la carte ». La participation au sein du mouvement est variable. Chaque soir, les hébergeurs choisissent d’accueillir ou non, combien de personnes et pour combien de temps. Tous les hébergeurs que nous avons interrogés font part de cette flexibilité et lui trouvent beaucoup d’avantages. Anne affirme que cette flexibilité est essentielle pour elle : « Pour moi, il ne faut pas une méthode trop contraignante. Parce qu’on a déjà les contraintes de la vie, du travail, et celles qu’on se rajoute en faisant cela. Si en plus il y a de l’administratif… Pour moi c’est la bonne méthode. »
En conclusion, selon l’analyse de Melucci, nous pouvons constater que le processus d’identité collective est incomplet. Seul le premier axe correspond au mouvement des hébergeurs bruxellois. Les autres axes sont incomplets. L’engagement citoyen des hébergeurs bruxellois correspond au militantisme pragmatique, « à la carte » de Jacques Ion. Dans celui-ci, les militants ne se rencontrent plus, n’échangent plus entre eux. L’action prime sur le l’unité de groupe. Dans ces conditions, les membres n’ont pas l’opportunité ou l’envie de développer des liens et des relations entre eux. La création d’identité collective reste donc très faible. Si le phénomène migratoire a entraîné la création du groupe Facebook « Hébergement plateforme citoyenne », nous ne pouvons conclure à la création d’une identité collective au sein des hébergeurs bruxellois de ce groupe.
[Groupe 11] Roxanne DE SMET, Caroline GANNA, Alexa LACHAUME, Dawit TESFAY
[1] MELLUCI, Alberto, Challenging Codes: Collective Action in the Information Age, Cambridge England, New York, Cambridge University Press, 1996, 441p.
[2] ION, Jacques, et al. Militer aujourd’hui, Paris, Autrement, 2005, 139p.